Le convoi du 24 Janvier 1943 dit convoi des 31000

Le convoi du 24 janvier 1943 emporte 230 femmes vers le camp de concentration et d’extermination nazi, Auschwitz II Birkenau.

Elles avaient entre dix-sept et soixante-neuf ans :

- 119 d'entre elles étaient communistes ou proches du Parti communiste
- 12 appartenaient à des réseaux gaullistes
- 51 avaient été arrêtées pour divers actes de Résistance

Soixante-treize jours après leur arrivée, elles n'étaient plus que 70. A la fin, il n'y en aura plus que 49, ce qui correspond à un taux de mortalité de 79%, un chiffre particulièrement élevé pour des déportées de répression. Les femmes arrêtées par mesure de répression de ce transport sont les seules à avoir été dirigées vers le complexe d’Auschwitz. Les autres femmes venant de France étaient des Juives déportées dans le cadre de la  "solution finale" . Sur ces quarante-neuf femmes qui survécurent au convoi, il n'y en eut que trois à avoir échappé au typhus.

 

"Le convoi du 24 janvier 1943 emporte vers les camps de concentration et d’extermination nazis 230 femmes et 1 466 hommes. Ces derniers étaient internés à Compiègne alors que les femmes sont arrivées de Romainville pour ne passer qu’une nuit à Royallieu. Entassés dans des  wagons séparés, leurs parcours ne divergent qu’une fois arrivés sur le territoire allemand. Les hommes partent pour le camp de Sachsenhausen alors que les femmes sont conduites vers celui d’Auschwitz.

L’histoire des déportées du 24 janvier 1943 nous est essentiellement parvenue grâce aux témoignages et recherches de  Charlotte Delbo. La veille du départ sont regroupées 222 prisonnières de Romainville, 6 de Fresnes et 2 du Dépôt. De milieux sociaux et professionnels divers, puisque se côtoient ouvrières, commerçantes, employées, institutrices mais aussi professeur, médecin, chirurgien dentiste et reporter-photo, ces femmes ont majoritairement témoigné d’une activité de résistante. Plus de la moitié sont communistes. Elles ont été arrêtées dans les villes de la zone occupée, et notamment de la région parisienne. Elles arrivent au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz le 26 janvier au soir pour nedescendre du train que le lendemain matin. En passant l’entrée, elles chantent la Marseillaise et deviennent les 31000. Le typhus et la sélection des plus faibles auront raison d’elles : elles ne sont plus que 70 en avril 1943.  Leur mise enquarantaine pendant 11 mois, à partir d’août 1943, les dispense de travail forcé, de marche, d’appel. Après leur transfert au camp de Ravensbrück en août 1944, elles sont orientées différemment.

Parmi les femmes du convoi du 24 janvier 1943 figurent, entre autres, Marie-Claude Vaillant Couturier, Danielle Casanova, Simone Sampaix, Hélène Salomon, Mäy Politzer et Charlotte Delbo." Source : Mémorial de Compiègne

 

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L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122), surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN), Champigny-sur-Marne (94).

 

 

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Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.

 

Le Convoi de déportation dit des « 31 000 »

"Les femmes déportées sont originaires de différents départements de la zone Nord occupée et principalement de villes de plus de 10 000 habitants. Au moins 106 d’entre elles viennent de la région parisienne. La moitié de ces déportées appartient à la classe ouvrière, un quart sont des commerçantes ou des employées. On note aussi la présence de dix institutrices et de deux professeurs, d’un médecin et d’une sage-femme, d’une dentiste et d’un reporter-photographe.

(…) Dans ce convoi se trouve notamment Marie-Claude Vaillant- Couturier, agent de liaison entre la direction du PCF et les branches de la Résistance. Simone Sampaix fille de Lucien Sampaix, secrétaire général de L’Humanite (fusillé le 15 décembre 1941). Danielle Casanova, chirurgien- dentiste, fondatrice de l’Union des jeunes filles de France, rédactrice de La voix des femmes. Hélène Solomon, fille du professeur Langevin et veuve de Jacques Solomon (fusillé le 23 mai 1942), elle militait avec Danielle Casanova au sein du Front national universitaire. Maÿ Politzer est l’épouse du philosophe Georges Politzer, rédacteur dans L’Université libre et La Pensée libre, (fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942). Il faut noter, enfin, la présence dans ce transport de Charlotte Delbo, secrétaire de Louis Jouvet jusqu’en 1941, qui entre en résistance avec son mari Georges Dudach, (fusille´ le 23 mai 1942). Ce sont les recherches effectuées à son retour par Charlotte Delbo qui a permis de faire l’histoire de ce transport."

 

Marie-Claude Vaillant Couturier

Source Assemblée nationale

Marie-Claude Vogel épouse Vaillant-Couturier puis Ginsburger, est née le 3 novembre 1912 à Paris.

Elle est l’aînée des enfants de Lucien Vogel et de Cosette de Brunhoff. Elle est issue d’une famille protestante ayant soutenu le capitaine Dreyfus. Ses parents dirigent des revues culturelles ou consacrées aux loisirs. Son père, membre de la SFIO, se prononce en 1920 pour l’adhésion à la IIIème Internationale. Marie-Claude Vogel obtient les deux baccalauréat en 1930. Après un séjour en Allemagne, elle devient photographe et est embauchée par son père. En 1932, elle rencontre Paul Couturier dit Vaillant-Couturier. Ils partagent leur vie à partir de 1934 et se marient le 29 septembre 1937, quinze jours avant le décès de ce dernier, le 10 octobre 1937. En 1934, Marie Claude Vogel adhère aux Jeunesses communistes et à l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires. En 1937, elle travaille comme photo reporter à l’Humanité et est une des dirigeantes de l’Union des Jeunes filles de France, organisation dirigée par les Jeunesses communistes. En 1938, elle se rend en URSS pour un séjour de six mois. À son retour, elle devient responsable du service photographique du quotidien communiste. En 1939, elle partage sa vie avec Roger Ginsburger dit Pierre Villon, un architecte ayant travaillant pour l’Internationale communiste, devenu un des principaux responsables militaires de la Résistance, et qui est élu député de l’Allier à la Libération. Marie-Claude Vogel a dirigé les éditions clandestines du Parti communiste jusqu’à son arrestation le 9 février 1942. Elle est transférée à la prison de Santé puis au fort de Romainville. Elle est déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, puis transférée à Ravensbrück le 2 août 1944. Elle revient des camps le 25 juin 1945. Marie-Claude Vaillant-Couturier est suppléante au Comité central du Parti communiste en 1945 puis titulaire en 1947, et elle a été reconduite dans cette fonction jusqu’en 1985. En 1946, elle est citée comme témoin au Tribunal de Nuremberg. Elle épouse Pierre Villon en 1949.

 

Maÿ Politzer matricule 31663

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Photographiée au service de l’identité judiciaire
de la préfecture de police le 16 février 1942.
© APP Paris.

Source : Mémoire vive

Maÿ Politzer est l’épouse du philosophe Georges Politzer, rédacteur dans L’Université libre et La Pensée libre, (fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942).

Elle est déportée le 24 janvier 1943 de Compiègne à Auschwitz-Birkenau avec d’autres grandes figures de la Résistance telles que Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. Elle y décède le 9 mars 1943.

Début septembre 1940, Georges et Maï (avec Jacques et Hélène Solomon et Jacques Decour) décident d’organiser la résistance universitaire, d’abord par la diffusion d’un tract Aux intellectuels français (en octobre), puis par la publication d’un périodique : l’Université Libre. Jacques Solomon est rédacteur en chef du périodique, Georges Politzer assure la liaison avec la direction du PCF clandestin, Georges Dudach le secrétariat, assisté de Charlotte Delbo, son épouse. Des femmes assurent l’intendance, les liaisons et la diffusion : Maï Politzer, Danielle Casanova (qui assure notamment les échanges avec Félix Cadras), Hélène Solomon-Langevin, Claudine Michaut, Marie-Claude Vaillant-Couturier…

Mi-novembre, ils entrent dans la clandestinité. Maï et lui quittent définitivement leur appartement pour des planques discrètes et changeantes, baptisant ces domiciles clandestins successifs du nom de « Victoire ». Ils confient leur fils aux bons soins des parents de Maï.

À partir d’octobre 1941, sous les fausses identités de Georges Destugues et de Brigitte d’Argent, le couple Politzer est logé dans une planque au 170 bis, rue de Grenelle, face à l’église Saint-Jean, à Paris 7e (« Victoire III »). Georges ayant dû restreindre ses mouvements depuis leur entrée en clandestinité, c’est Maï qui assure la liaison avec l’extérieur, acheminant écrits, articles et ravitaillement.

Le 23 janvier, André Pican rencontre une femme au métro Balard (la « femme Balard ») : c’est ainsi que Danielle Casanova est repérée. Le soir même, des inspecteurs la retrouvent à l’occasion de sa rencontre avec la « femme viaduc ». Elle est suivie jusqu’à un immeuble de la rue du Poteau (Paris 18e). Elle en sort à 20 h 05 « portant une valise de couleur jaune » et prend le métro à la station Jules-Joffrin. Descendue à La Tour-Maubourg, elle pénètre à 20 h 40 au 170 bis, rue de Grenelle, dans un immeuble qui sera désormais surveillé jour et nuit. Danielle Casanova apportait du charbon à ses amis Politzer afin qu’ils ne restent pas sans chauffage au cœur de l’hiver.

Le 15 février 1942, six inspecteurs des brigades spéciales investissent l’appartement des Politzer, où Georges est seul. Maï se fait “cueillir” en rentrant à la maison. Sur elle, entre autres documents, les policiers trouvent une photo de Daniel Decourdemanche (Jacques Decour). Danielle Casanova tombe à son tour dans la souricière, interpellée dans l’escalier de l’immeuble. Decour y est pris deux jours plus tard en voulant alerter ses amis contre les arrestations dont il a eu vent. André et Germaine Pican, Lucien Dorland et Lucienne Langlois ont aussi été arrêtés le 15.

Le 20 ou 23 mars, ils sont remis aux autorités d’occupation et transférés au quartier allemand de la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e.Maï est mise au secret, seule dans une cellule. Plusieurs fois, elle est envoyée au cachot où, en plein hiver, elle souffre du froid.

Au matin du 23 mai 1942, dans sa cellule, elle est autorisée à dire adieu à Georges, qui a sollicité cette dernière volonté en tant qu’otage devant être fusillé. Le 23 mai, Georges Politzer est fusillé dans la clairière du fort du Mont-Valérien à Suresnes (Hautes-de-Seine). Le 9 juin, Maï et ses compagnes sont conduite au 11, rue des Saussaies, un des sièges parisiens de la Gestapo, pour y être interrogées. Un matin de l’été 1942, dans la rue, un copain de Michel lui annonce : « Popol, ils ont dit à Radio-Londres que ton père… que Georges Politzer a été fusillé par les Allemands ». Ce jour-là, afin de tenir « à bonne distance un réel inacceptable », le jeune garçon perd la mémoire, ne parvenant jamais plus à évoquer la moindre image de ses parents.

Le 24 août, Marie Politzer est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, sur la commune des Lilas [2] (Seine-Saint-Denis - 93), avec vingt-quatre futures “31000” arrêtées dans la même affaire : Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Hélène Solomon, Germaine Pican, Charlotte Dudach-Delbo, Yvonne Blech, Anne-Marie Bauer, Madeleine Dissoubray(-Odru)…

Marie Politzer y est enregistrée sous le matricule n° 681.

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D.R.

Dans une lettre que Danielle Casanova parvient à transmettre à sa mère, elle écrit : « Avec moi se trouvent deux amis que j’aime : Georges Politzer et sa femme. Ils ont un petit garçon de huit ans, Michel, qui vit avec ses grands-parents et ils sont sans ressources. Aussi, ma chère maman, je de demanderai de t’intéresser à lui comme s’il était mon fils. »

Danielle Casanova et Maï Politzer

Maï parvient enfin à transmettre à ses parents une lettre clandestine - non censurée -, dans laquelle elle décrit les épreuves traversées :

Mes grands chéris,

Je crois que cette fois-ci vous allez recevoir ce mot. Je vous ai envoyé de la Santé des petites lettres clandestines, mais je vais vous redire ce que je vous disais dans la précédente lettre.

Notre Georges avant d’être fusillé a pu passer vingt minutes environ dans ma cellule. Il était sublime, jamais son visage n’avait été aussi lumineux, une grandeur que je ne puis traduire l’élevait au-dessus des hommes. Un calme rayonnant se dégageait de lui, et toute son attitude était impressionnante, même pour ses bourreaux. Il m’a dit tout son bonheur de mourir pour son Parti et pour la France, il était particulièrement heureux de mourir sur le sol français, vous savez combien cela comptait pour lui. Surtout que dès le premier jour on lui avait dit qu’il serait jugé et fusillé en Allemagne.

Vous savez sans doute qu’il n’a pas été jugé mais fusillé comme otage à la suite d’un « attentat » contre un lieutenant allemand, disaient-ils. Au fait, ils avaient peur de n’avoir pas suffisamment de preuves pour le condamner à mort, car chez nous ils n’ont rien trouvé de sa main. À plusieurs reprises les officiers de la Gestapo lui ont demandé d’accepter de travailler à réformer l’intelligence de la jeunesse française, lui promettant notre libération immédiate et une vie longue et heureuse « pour notre famille » ; ils ajoutèrent qu’un autre savant français n’avait jamais eu à le regretter. Vous imaginez sa réponse puisqu’il est mort. Ils lui ont donné huit jours pour réfléchir. Puis un jour il a été appelé et ayant maintenu sa position, on lui a répondu qu’il serait fusillé dans les jours qui suivaient.

Trois jours après il a été fusillé au Mont-Valérien. On est venu le chercher dans sa cellule à six heures du matin. De ma vie je n’oublierai le bruit des bottes qui m’ont réveillée en sursaut. Sa cellule était presque face à la mienne et par les W.C. nous parlions depuis le premier mai toute la journée. Malheureusement j’ai passé huit jours au cachot pendant ce mois à la suite de mon interrogatoire. J’y avais déjà passé trois jours. Le 23 mai à 7 heures il a été amené dans ma cellule, je croyais que tout était fini. Vous imaginez ce qu’a été ce moment. Merveilleusement grand et calme. J’ai su qu’il n’a été fusillé que vers deux heures de l’après-midi, ils ont chanté la Marseillaise jusqu’au bout.

Pendant qu’il était dans ma cellule l’aumônier est venu lui demander s’il désirait quelque chose, Georges a demandé qu’on lui donne à manger. J’ai su depuis qu’on leur a donné un repas et qu’ils ont fumé toute la matinée.

Le 30 mai c’était le tour du pauvre Daniel Decourdemanche. J’ai pu aussi lui parler un peu par les W.C. Ils ont tous été sublimes. Malheureusement j’ai vu partir beaucoup des nôtres, dont certains qui étaient encore des enfants de 17, 18 et 19 ans. Ils étaient tous des héros - notre parti peut être fier de ses fils, ils meurent tous en héros.

Georges a été enchaîné dès le premier jour jusqu’au dernier moment, les mains au dos avec les menottes nuit et jour. Ses menottes lui ont provoqué une infection, il a eu des anthrax qui l’ont fait souffrir pendant deux mois.

Il a été sauvagement battu au nerf de bœuf et à la matraque, sur tout le corps et en particulier sur les parties. Il a certainement eu le bras cassé par les coups car il avait le jour où je l’ai vu, un os au poignet qui déformait complètement son bras.

J’ai pour mon compte été particulièrement ennuyée par les sauvages. J’ai été gardée seule en cellule à la Santé, sans livre, sans colis, sans promenade, pendant cinq mois. Après la mort de Georges on m’a mise un mois avec une femme de droit commun puis on m’a remise seule. Pour des riens on me punissait. J’ai été privée de soupe trois fois, pour cinq jours chaque fois. J’ai été en même temps privée de lit chaque fois pendant cinq jours. Puis envoyée deux fois au cachot ; le cachot est une toute petite pièce absolument noire, sans fenêtre aucune et totalement nue, sans paillasse sans couverture et avec des souris. J’ai très bien supporté tout cela, mais le manque d’air faisait qu’on me trouvait presque chaque matin évanouie. Le docteur m’a enfin examinée et m’a dit que j’ai quelque chose au poumon, mais ce doit être pour me faire parler qu’il m’a dit cela, car il a ajouté, si vous parliez je pourrai faire quelque chose pour vous. À la Santé j’ai eu une crise de foie et une autre ici. Ici cela m’a valu qu’on me donne un régime, au lieu de l’horrible soupe aux choux, on me fait des légumes. Le soir nous n’avons qu’un sixième ou un cinquième de boule de pain suivant les jours, et une cuillérée de confiture. On crève de faim, mais n’envoyez rien pour le moment car le secret n’étant pas levé, nous ne recevons absolument rien des familles.

Mon amie Danielle Casanova me propose de vous envoyer tous les trois en Corse chez sa mère. Si on vous le propose acceptez car la Gestapo nous a menacés Georges et moi d’envoyer Michel en Allemagne où ils l’élèveront jusqu’à 21 ans. S’ils ne le font pas encore, ils risquent de le faire un jour. Nous commençons à savoir qu’ils tiennent beaucoup de leurs promesses. Aussi n’hésitez pas à mettre le petit à l’abri et même vous-mêmes à l’abri si c’est possible.

Ici au Fort de Romainville nous sommes beaucoup mieux qu’à la Santé à cause de l’air. Nous sortons dans la cour deux heures par jour. Nous sommes quarante dans un dortoir. Je suis avec Hélène, Danielle et Marie-Claude ; nous faisons des causeries, des conférences, des leçons d’allemand, de chant, de danse, de diction. En ce moment j’apprends le Fandango aux autres. Le moral est chez toutes, magnifique.

Mon seul souci est vous trois, que devenez-vous ? mes anges, que mangez-vous ? avez-vous de l’argent ?

Je croyais avoir un mot de vous hier. Je vais l’avoir peut-être ce soir.

J’ai reçu les affaires de Georges, le chandail bleu, ma jupe plissée et une robe noire.

Je n’ai pas eu froid sauf au cachot, ils me faisaient faire de la gymnastique pour me réchauffer. Mes chéris ayez beaucoup de confiance. « Nous nous retrouverons bientôt ». Nous ne nous quitterons que si nous partons en Allemagne. En tous cas je vous reviendrai.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Maï parviendra également à transmettre à ses proches deux objets chargés d’affection : un pièce de monnaie trouée transformée, avec des laines de couleurs, en chapeau de marin à pompon rouge et une poupée de chiffon, cousue, bourrée de paille, qui deviendra la confidente de son fils Michel. Habillé en costume marin blanc afin d’être visible de loin, celui-ci est conduit au moins une fois sur le talus du fort pour y effectuer une « promenade » au cours de laquelle il agite le bras en direction des fenêtres du bâtiment où sa mère est détenue. En octobre, le numéro 70 de L’Université libre apprend à ses lecteurs que Georges Politzer a été fusillé. Au cours de l’hiver suivant, Joseph Larcade, le père de Maï, succombe à une pneumonie. Hélène, son épouse, reste seule pour élever leur petit-fils Michel.

Le 22 janvier 1943, Marie Politzer est parmi les cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Maï demande à Marie-Claude Vaillant-Couturier : « Ne trouves-tu pas que les corbeaux sont sinistrement gras ici ? »

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Au tout début du mois de février 1943, Danielle Casanova réussit à faire entrer Maï Politzer comme médecin - elle est sage-femme - au Revier de Birkenau. Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police judiciaire allemande. Si elle a été admise à l’hôpital auparavant comme soignante, il est possible que Maï n’ait pas participé à cette séance de photos collective…

Le 12 février, la plupart des “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où se trouvent quelques compagnes prises à la “course” du 10 février. Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Dans le cadre de son emploi à l’hôpital, Maï Politzer contracte le typhus, dont elle meurt le 6 ou le 9 mars 1943.

La nouvelle de la mort de Maï Politzer à Auschwitz parvient en France à l’été 1943 grâce à une lettre de Marie-Claude Vaillant-Couturier adressée à sa sœur, Nadine Allégret, et datée du 16 juillet ; la toute première lettre qu’une “politique” française est autorisée à écrire. Le contenu, écrit en allemand, est en partie “crypté” : « Je suis bien triste qu’Hortense soit chez son père. Je pense aussi beaucoup au pauvre petit Mimi. Dieu merci, je sais que vous en prendrez soin ». Pierre Villon, époux de Marie-Claude, cherche à en comprendre le contenu avec Laurent Casanova. Hortense avait été un des pseudonymes clandestin de Danielle dont le père était mort depuis longtemps. Mimi, c’est ainsi que l’on appelle le fils de Maï. Le message est clair : elles ont mortes toutes les deux.

 

Simone Sampaix

  • Source Mémorial de la résistance du 19ème arrondissement de Paris

Alors que Lucien Sampaix est à la prison de la Santé où il a été enfermé après son arrestation, Simone annonce à son père sa décision de prendre son relai dans la Résistance. Elle est déjà depuis le début de l’occupation, en relation avec « les mouflets » et la Résistance commence à s’organiser.

Simone transporte des journaux, des tracts. Puis vient le moment des actions armées contre l’occupant où elle est agent de liaison et transporte aussi parfois des armes. Le jour où les allemands fusillent son père, c’est une immense émotion dans tout ce quartier populaire du 19ème. Simone a évoqué ce moment terrible où, avec ses camarades, elle participe à la dénonciation de ce crime contre son père :

« Des tracts avaient été tirés dans la nuit, nous les avons distribués le soir suivant dans les boites aux lettres et collés sur les murs, partout où mon père était connu, place des fêtes, rue des Bois, rue Émile Desvaux, rue de Romainville, rue des Lilas et jusqu’à la place du Télégraphe. »

Tract rédigé par Danielle Casanova

Le 10 mai 1942, Simone Sampaix avait un rendez-vous avec André Biver et Isidore Grinberg. Elle ignorait qu’ils venaient d’être arrêtés. Elle fut arrêtée à son tour 3 jours plus tard alors qu’elle se rendait à un lieu de repêchage pour tenter de reprendre le contact avec ses deux jeunes camarades. Cet endroit était malheureusement déjà piégé par la police. Conduite d’abord au dépôt de la Préfecture de Police, Simone fut amenée au Fort de Romainville le 27 août 1942 où elle séjourna jusqu’au 23 janvier 1943.

Le 24 janvier au petit matin, 229 femmes dont Simone, partaient en camion jusqu’à Compiègne d’où un train devait les transporter en Allemagne. Ce convoi de résistantes était destiné au camp d’Auschwitz.

Simone avait à peine 18 ans lorsqu’elle posa le pied dans cet enfer. Elle y vécu une vie de bagnard, dans un froid terrible avec la faim et des conditions morales et physiques inhumaines. Souvent malade, au seuil de la mort, elle réussit à survivre grâce à la solidarité interne des détenues.

Le 2 août 1944, Simone avec d’autres déportées, fut transférée au camp de Ravensbrük au cours d’une marche forcée.

Enfin libérée par les troupes alliées, Simone Sampaix fut rapatriée le 10 juin 1945.

 

Yvette FEUILLET - Matricule 31663 Source MÉMOIRE VIVE (dernière mise à jour, 18-10-2013)

 

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Carte postale commémorative
éditée après la guerre (recadrée)
Collection Mémoire Vive.

Yvette Feuillet naît le 25 janvier 1920 à Paris 14e, fille d’un boulanger. À dix ans, elle perd son père. Restée seule pour élever ses deux filles, Yvette et Henriette, la mère fait des extras comme cuisinière. Jeune, Yvette entre en apprentissage dans une usine de lampes électriques, rue Sedaine dans le 11e arrondissement, près de la Bastille. Elle est souffleuse et travaille très dur devant des fours. En juin 1936, l’usine est en grève. Yvette, est élue déléguée de son atelier et se dépense avec entrain.

Quand se fonde l’Union des jeunes filles de France, en 1937, elle en fait partie et, là aussi, se donne sans mesure. Elle y consacre tout son temps libre. La famille habite alors au 26, rue des Rosiers, à Paris 4e.

Dès que la résistance à l’occupant se cristallise, Yvette y participe. À vingt ans, agent de liaison du comité central clandestin du Front national universitaire, elle mène la vie des “illégaux” : faux papiers, adresse inconnue, pas de domicile fixe. Elle est notamment en contact avec Auguste et Henriette Garnier, laquelle dactylographie des textes que lui transmet Yvette. Le 2 mars 1942, Yvette Feuillet est arrêtée dans le cadre des filatures policières de l’« affaire Pican-Cadras-Politzer ».

Elle passe quelques jours dans les locaux des Renseignements généraux, à la préfecture de police. Quand les interrogatoires sont terminés, elle est envoyée au dépôt. Le 23 mars, remise aux Allemands, Yvette Feuillet est transférée à la division allemande de la Maison d’arrêt de la Santé. Le 24 août, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis - 93), avec trente-cinq autres détenues prises dans la même affaire.

Yvette Feuillet y est enregistrée sous le matricule 648.

Le 22 janvier 1943, elle est parmi les cent premières femmes otages transférées en camion au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites dans des camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.

Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Yvette Feuillet est enregistrée sous le numéro 31663. Le matricule de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche. Au cours de l’interrogatoire pour établir sa fiche de détenue, Yvette se déclare sans religion (Glaubenslos).

Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos.

Le 3 février, la plupart d’entre-elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil.

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Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

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Les châlits du Block n° 26. La partie inférieure, au ras du sol,
est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible
de s’assoir. Photo Mémoire Vive.

En avril 1943, à Auschwitz, Yvette Feuillet doit entrer au Revier : des engelures aux chevilles se sont infectées, creusant des plaies profondes.

Alors qu’elle est en voie de guérison, elle contracte le typhus ; elle en meurt le 6 juillet 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (des rescapées ont indiqué la date du 8 juillet…).

Aucun avis officiel du camp n’est parvenu à sa famille. Mais, en janvier ou février 1944, quelqu’un - informé par une lettre d’une survivante en “quarantaine” - a annoncé la mort d’Yvette à sa sœur Henriette.

Yvette Feuillet a été homologuée sergent FFI à titre posthume.

À une date restant à préciser, une plaque commémorative a été apposée sur l’immeuble où elle a habité.

 

Charlotte Delbo

Violaine Gelly et Paul Gradvohl

Aux États-Unis, elle est considérée comme l’équivalent d’un Primo Levi. En France, son œuvre littéraire et théâtrale est lue et jouée depuis quarante ans. Mais qui connaît réellement Charlotte Delbo, morte en 1985 ? Pour la première fois, une biographie rend hommage à cette femme d’exception. 
Secrétaire de Louis Jouvet, résistante communiste, elle est arrêtée en 1942 par la police française en compagnie de son mari, Georges Dudach, fusillé quelques mois plus tard. Elle a 28 ans et lui dit adieu dans une cellule de la prison de la Santé. Ce qui l’attend, elle, c’est la déportation : elle fait partie du convoi du 24 janvier 1943, le seul convoi de femmes politiques à avoir jamais été envoyé à Auschwitz. Sur les 230 déportées, seules 49 reviennent, après 27 mois de captivité. Charlotte Delbo se jure alors d’être celle qui témoignera de l’incroyable sororité qui les a unies et leur a permis de survivre. Dans toute son œuvre – en prose ou en vers –, elle dit et célèbre le courage de ces femmes. Militante passionnée des droits de l’homme, elle ne cessera plus de combattre les injustices et de mettre sa plume au service des plus faibles. 
Charlotte Delbo, une conscience dans le siècle.

Billet jeté du train qui la conduit vers Auschwitz par Georgette Rostaing

 

 

 

Jacqueline Quatremaire - Matricule 31641

 

Profession : Sténodactylo
Elle est née le 17 octobre 1918 à Igé (Orne)
La famille réside à Noisy le Sec. Son père, peintre en bâtiment, sera élu maire de la commune à la libération.

Adhérente de l’union des Jeunes filles de France. Elle est arrêtée le 17 juin 1942 comme agent de liaison du mouvement front National. Elle est incarcérée à la prison des Tourelles puis est transférée au fort de Romainville.

Elle est déporté le 24 janvier 1943 à Auschwitz - convoi dit des 31 000,  seul convoi de femme arrêtée pour motif de répression à arriver à Auschwitz- Elle a le matricule 31641. Elle est affecté au Revier où elle contracte le typhus.

Elle décède le 24 FÉVRIER 1943 à Auschwitz

 

Mémoire vive

Témoignage de MARIE-ÉLISA NORDMANN - Matricule N° 31687

"Qui sont les 45000 et les 31000 d’Auschwitz-Birkenau

Pour la majorité d’entre eux, antifascistes, hommes et femmes à l’esprit rebelle, ils ont été des militants actifs du puissant mouvement social de 1936, ou - pour les plus jeunes - ont grandi dans ce contexte de luttes et d’espoir.

Avec la montée des fascismes en Europe et une tentative de coup de force de l’extrême droite, les années qui avaient précédé le Front populaire avaient été qualifiées par Léon Blum de « temps fasciste ». C’est contre cette menace qu’un grand mouvement populaire s’était organisé. Combattant l’exploitation, refusant la soumission, et haïssant la guerre, ils étaient animés par un idéal de fraternité et d’internationalisme, l’enthousiasme et l’espoir que leurs chants exprimaient : « L’internationale sera le genre humain », « Allons au-devant de la vie, allons au-devant du bonheur !.. » Pouvaient-ils imaginer que leur quête de bonheur, de fraternité les conduirait vers un lieu de haine, d’horreur, de mort ?

Engagés pour la plupart dans l’action politique, syndicale ou associative avant la guerre, leur entrée dans la résistance contre le régime de Vichy et l’occupant a été le prolongement et la traduction de leurs convictions.

Sous l’occupation, la police et l’administration françaises accentuent la répression engagée dès 1938 et légalisée en 1939, en internant militants et militantes en différents lieux, notamment des camps créés ou aménagés pour cet usage.

Contraints à la clandestinité dans un climat politique de revanche sociale, ils ont diffusé “sous le manteau” leur presse qui avait été interdite, distribué des tracts et organisé ou participé à diverses manifestations dénonçant l’occupant et la collaboration.

À partir de 1941, ces hommes et ces femmes se sont engagés dans des actions de sabotage et des attentats contre l’armée allemande.

Par mesure de représailles, l’occupant - avec l’aide de la police française - mit alors en place une politique d’otages, fusillant par dizaines des hommes maintenus en détention sans jugement. Ces exécutions sommaires ne mirent pas fin aux actes de résistance et eurent pour effet, au contraire, de développer une hostilité croissante dans la population. C’est pourquoi, Hitler et ses généraux ont eu l’idée de faire disparaître « dans la nuit et le brouillard » une partie des otages destinés jusque-là au peloton d’exécution : ils pensaient qu’une menace permanente pesant sur le sort d’un grand nombre de militants, dont personne ne saurait rien, paralyserait l’action patriotique de leurs compagnons et de leurs proches.

1175 hommes regroupés au camp de Royallieu à Compiègne (Oise) sont choisis avec soin pour être déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Plus de mille d’entre eux sont militants ou sympathisants communistes. À leurs côtés, se trouvaient également des personnalités non communistes qui avaient exprimé leur hostilité à l’occupation nazie et à la collaboration du gouvernement de Vichy et, sur une liste séparée, les 50 derniers otages juifs du secteur C de Compiègne.

Ils furent entassés dans des wagons à bestiaux pour être déporté vers une « destination inconnue » : Auschwitz-Birkenau, à la fois le plus grand complexe concentrationnaire et le principal centre d’extermination des juifs européens mis en place par les nazis.

 

Il en fut de même, quelques mois plus tard, pour les 230 femmes déportées dans le convoi du 24 janvier 1943.

Généralement arrêtées plus tard, beaucoup étaient davantage impliquées dans les mouvements et réseaux de résistance. Un certain nombre d’entre elles avait appris l’exécution de leur mari. Presque toutes furent internées au fort de Romainville.

Ces deux grands convois de déportés politiques sont les seuls partis de France avec Auschwitz-Birkenau pour destination définitive. Les autres convois de la déportation de répression ont été en effet acheminés vers d’autres camps.

Les hommes et femmes de ces deux convois sont dénommés les « 45000 » et les « 31000 » à cause du matricule qui les désignait et qui fut tatoué sur leur avant-bras, comme pour la plupart des détenus enregistrés à Auschwitz.

 

Sur les 1175 hommes déportés le 6 juillet 1942, seulement 119 ont survécu. Sur les 230 femmes déportées le 24 janvier 1943, 49 sont rentrées.

Ce transport, composé 230 femmes, est le seul convoi de résistantes à avoir été dirigé vers Auschwitz-Birkenau. Les autres femmes déportées par mesure de répression étaient envoyées à Ravensbrück.

Ces femmes étaient originaires des départements de la zone occupée avant novembre et principalement de villes de plus de 10 000 habitants. 106 d’entre elles, au moins venaient de la région parisienne. La moitié de ces déportées appartenaient à la classe ouvrière, un quart étaient des commerçantes ou des employées, les autres exerçaient une profession libérale ou intellectuelle avant leur arrestation. La plupart d’entre elles (222) avaient été extraites du Fort de Romainville, alors camp de détention allemande

Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Quelques-unes avaient eu des responsabilités importantes comme Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. 45 étaient en outre des veuves de fusillés telles Charlotte Delbo, Marie Politzer, Hélène Solomon. Quelques-unes étaient des parentes de déportés du convoi du 6 juillet 1942 ou de celui du 24 janvier 1943 destiné à Sachsenhausen. Tandis que quelques-unes étaient des résistantes isolées.

A leur arrivée à Birkenau, le 27 janvier, ces femmes entrent dans le camp en chantant La Marseillaise. Elles sont immatriculées dans la série des « 31000 »entre les numéros 31625 et 31854.

Les premiers mois passés à Birkenau sont les plus meurtriers, en particulier à cause de l’épidémie de typhus qui sévit dans le camp et des diverses formes « sélection » qui conduisent les plus faibles dans les chambres à gaz. Charlotte Delbo, qui a écrit un livre sur son convoi, indique qu’elles n’étaient plus que 70, le 10 avril 1943. En juillet, les « 31000 » reçoivent le droit de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis. Puis, le 3 août, la plupart des 57 dernières survivantes sont placées en quarantaine, dans une baraque installée juste devant l’entrée du camp. Ce bâtiment servait essentiellement à mettre « à l’isolement, avant leur sortie, des Allemandes de droit commun qui avaient purgé leur peine ». Les autres détenus politiques français, de sexe masculin, rassemblés au camp principal, connaissent, à leur tour, un sort semblable le 13 août 1943.

Pourquoi une telle quarantaine ? Faut-il la mettre en relation avec les démarches entreprises auprès de la Croix-Rouge par les familles des « 31000 » à la suite de la réception de plusieurs avis de décès, à partir d’avril 1943 ? Ou/et avec la diffusion, en mai 1943, d’un tract du Front national révélant le départ des communistes détenues à Romainville pour Auschwitz et dénonçant les conditions épouvantables de détention dans ce camp ? Le contenu de ce tract est repris par Fernand Grenier dans une émission de Radio-Londres, le 17 août. Durant toute leur quarantaine qui se prolonge jusqu’en juin 1944, les « 31000 » sont exemptées de travail, de marche, d’appel général et peuvent enfin se laver. Ce répit 1944, freine la mortalité du groupe des survivantes où uniquement 5décès sont à déplorer entre août et novembre 1943.

17 autres « 31000 » travaillent dans un Kommando de Raisko, un laboratoire situé dans un hameau de l’espace concentrationnaire de Birkenau où des détenus placés sous la responsabilité de chercheurs expérimentent la culture du kok-saghiz, une sorte de pissenlit dont la racine contient une forte proportion de latex. Ici encore les « 31000 » connaissent ont un régime plus clément.

En 1944, le 7 janvier, les 3 et 16 août, les survivantes sont transférées à Ravensbrück dans des transports différents. La majorité des 33 « 31000 », arrivées dans ce camp le 4 août, sont placées au Block des détenus « Nacht und Nebel », ce qui signifie notamment qu’elles ne doivent pas être transférées dans des Kommandos de travail extérieurs.

En mars 1945, elles sont évacuées vers d’autres camps et libérées en avril. Seules 49 d’entre elles ont survécu à leur déportation ce qui correspond à un taux de mortalité de 79%, un chiffre particulièrement élevé pour des déportées de répression".

 

Biographies des 31000 - source http://www.memoirevive.org/les-biographies-des-31-000/

 

Le complexe d’Auschwitz-Birkenau.

 

Auteurs Marion Queny et Pierre Labate. Article paru dans le bulletin n° 23 de Mémoire Vive de janvier 2005

 

« Le terme Auschwitz est très souvent utilisé pour désigner, de manière symbolique, l’ensemble du processus d’extermination des Juifs d’Europe. La réalité historique du lieu est plus complexe : plusieurs sortes de crimes, touchant différents groupes humains, y furent perpétrés.

En mai 1940, constatant que la répression qu’ils mènent contre la résistance et les élites polonaises entraîne une forte surpopulation carcérale, les Allemands décident de créer un camp de détention en Haute-Silésie (annexée au Reich), dans le sud de la Pologne. Ils choisissent comme base une caserne désaffectée située à proximité de la petite ville d’Oswiecim – l’occupant lui redonne l’ancien nom d’Auschwitz – choisie à cause de sa proximité avec un nœud ferroviaire important. Envisagé à l’origine comme simple camp de transit, il devient rapidement camp de concentration. Par mesure de sécurité, les alentours sont vidés de leur population jusqu’à dessiner une « zone des intérêts du camp » de 40 km2 au confluent de la Vistule et de la Sola.

Le 20 mai 1940, trente prisonniers allemands de droit commun sont transférés depuis Sachsenhausen pour fournir l’encadrement des prisonniers (et 100 autres le 29 août). Un premier convoi de 728 détenus Polonais arrive de la prison de Tarnow le 14 juin. Le camp étant également un centre de police pour le secteur, la cour fermée entre les Blocks 10 et 11 sera le lieu d’un grand nombre d’exécutions par fusillade – comme notre Mont-Valérien – essentiellement des Polo­nais et des résistants des pays proches (Tchécoslovaquie…).

Le 1er mars 1941, Himmler, chef suprême de la SS, demande le triplement de la superficie du camp initial (pour 20 000 détenus) et la création d’un camp annexe sur la commune de Brzezinka pour accueillir 100 000 prisonniers de la guerre qui est déjà planifiée contre l’Union Soviétique. La construction de ce dernier camp entraîne la mort de milliers de détenus, notamment des soldats de l’Armée Rouge.

Dans la même période, suite à un accord passé avec la firme de produits chimiques IG Farben, Auschwitz acquiert une fonction industrielle qui va entraîner l’aménagement d’un troisième camp, Auschwitz-III, en octobre 1942 sur le site de Monowitz près duquel un complexe industriel pour la production de fuel et de caoutchouc synthétique a été mis en chantier.

Tous ces travaux font du camp d’Ausch­witz le plus grand complexe concentrationnaire du IIIe Reich et celui qui compte le plus de détenus (jusqu’à 135 000 détenus en août 1944). Il ne va cesser de s’étendre jusqu’en octobre 1944, date à laquelle le rapprochement du front de l’Est commence à le menacer.

Heinrich Himmler choisit le site isolé d’Ausch­witz comme centre pour la mise en place de la « solution finale ». En septembre 1941, le premier gazage de détenus a lieu au Stammlager, effectué au Zyklon B à titre expérimental sur plusieurs centaines de prisonniers de guerre soviétiques et de malades “irrécupérables”. La morgue du crématoire du Stammlager est transformée en chambre à gaz, mais le “rendement” de l’ensemble est faible. Après la conférence de Wannsee (20 janvier 1942), des centaines de convois de Juifs en provenance de Pologne et de divers pays d’Europe vont converger vers Auschwitz pour y être assassinés.

Discrètement aménagées, de l’autre côté du camp de Birkenau, une première puis une deuxième maison paysanne deviennent également des chambres à gaz. Les corps sont d’abord enfouis dans des fosses creusées à proximité, puis rapidement celles-ci seront utilisées pour les incinérer. Le centre de mise à mort se met en place.

À partir de juillet 1942, “sélectionnées” d’un regard à la descente du train, les personnes jugées inutiles pour les besoins du camp – essentiellement vieillards, handicapés, malades, enfants seuls ou accompagnés de leur mère – sont immédiatement gazées (non immatriculées dans les effectifs).

Enfin, la création de grands crématoires avec chambres à gaz (Krematoriums II à V, mis en service successivement de mars à juin 1943) dans l’enceinte de Birkenau transforme en processus industriel l’exécution de milliers d’êtres humains. L’usine de mort trouve son achèvement quand une dérivation de la voie ferrée amène directement les trains à proximité des crématoires (extermination immédiate de 200 000 Juifs de Hongrie de mai à août 1944 – 1/4 des personnes gazées à Birkenau).

Cette politique raciste de génocide entraîne la mort à Auschwitz-Birkenau d’environ un million de Juifs raflés dans toute l’Europe occupée et de 21000 Tziganes. Cependant les chambres à gaz sont également utilisées pour l’élimination des “inaptes au travail” et des malades “irrécupérables” jusqu’en avril 1943.

Par ailleurs (surtout au Block 10 du Stamm­lager), les médecins S.S. soumettent certains détenus hommes et femmes, essentiellement juifs et tziganes, à des expériences médicales mutilantes ou mortelles visant, entre autres, à mettre au point une méthode d’extinction des populations par stérilisation. La mortalité des détenus immatriculés dans les camps d’Auschwitz sera, en toute période, supérieure à celle des autres grands KL. C’est pourquoi y a été systématisée la pratique du tatouage, permettant d’identifier les très nombreux cadavres rapidement dépouillés de leurs vêtements (sur lesquels étaient cousus les numéros matricule). Ce marquage, initié sur la poitrine des prisonniers de guerre soviétiques et des malades en septembre 1941, a été porté sur l’avant-bras gauche des déportés Juifs enregistrés dans le camp à partir de mars 1942 puis généralisé pour tous les détenus (exceptés les Volksdeutsch) en février 1943.

Au printemps 1944, quand les autorités su­périeures du Reich décidèrent d’exploiter toute la main d’œuvre disponible dans les camps de l’Est pour l’effort de guerre – y compris les détenus Juifs ou Tziganes considérés comme “aptes au travail” – Auschwitz devient également un camp de transit et de location d’esclaves pour toutes les entreprises allemandes de l’intérieur.

En résumé, le Konzentrationslager ou K.L. Auschwitz comprend :

  • Le camp de base ou Stammlager, (Auschwitz-I) : il correspond à la caserne aménagée (28 Blocks en dur avec un étage) et aux premiers bâtiments de son extension (habitations et ateliers). Il abrite aussi la direction du complexe.
  •  Le camp de Birkenau (Auschwitz-II) : il correspond au nouveau camp construit à la hâte sur un sol marécageux, sans la moindre infrastructure, ni le moindre équipement sanitaire véritable, à trois kilomètres du Stammlager. Il comprend trois parties – BI, BII, BIII – elles-mêmes divisées en sous-camps. L’ensemble forme un immense rectangle de 1,7 km sur 0,72 km environ. Première construite, avec des bâtiments ci­mentés et des écuries préfabriquées en bois, la partie BI deviendra le camp des femmes. Les parties BII et BIII sont uniquement constituées de baraques en bois. La partie BIII (“Mexique”) ne sera jamais achevée et une extension BIV ne sera pas réalisée. Birkenau est cependant le plus grand ensemble du complexe d’Auschwitz. Les exploitations agricoles et les fermes d’élevage situées dans la Zone d’intérêt du camp lui sont administrativement rattachées. Dans des enceintes séparées, Birkenau intègre les principaux éléments du centre de mise à mort conçu pour l’extermination des Juifs d’Europe et utilisé également pour d’autres détenus (Tziganes, malades…).
  • Le camp de Monowitz (Auschwitz-III) : il correspond au camp spécialement ouvert à sept kilomètres de la ville d’Ausch­witz pour installer la main-d’œuvre nécessaire aux usines de fabrication de caoutchouc et d’essences synthétiques implantées par la firme IG Farben (Buna-werke).

Des camps annexes (Kommandos extérieurs), créés pour exploiter les ressources d’un large secteur, sont administrativement intégrés à Auschwitz-III.

Une quarantaine de filiales existeront ainsi de 1942 à 1944 au service direct de l’économie SS (comme celle qui doit achever la construction de l’Académie Technique SS à Brno en Tchéquie), ou, le plus souvent, au service d’entreprises industrielles allemandes plus ou moins importantes. Les “inaptes au travail” et les cadavres des Kommandos les plus proches sont ramenés aux Kremato­rium de Birkenau.

Quand l’armée soviétique est toute proche, les détenus du camp d’Auschwitz sont évacués vers d’autres camp (17-20 janvier), lors de marches ou de transports “de la mort”, seuls les malades incapables de marcher étant laissés sur place.

Le 27 janvier 1945, l’avant-garde de l’Armée Rouge arrive dans les camps d’Auschwitz, reste quelques heures avant de poursuivre son avancée. D’autres régiments soviétiques arrivent ensuite et organisent un poste médical avec la Croix-Rouge polonaise.

Dans une première période, le complexe concentrationnaire d’Ausch­witz fonctionne donc comme un camp de concentration au régime particulièrement sévère calqué sur le modèle de ceux existant depuis 1933 en Alle­magne : jusqu’à l’été 1942, les détenus enregistrés sont majoritairement Polonais. Il constitue également un complexe industriel au service de la machine de guerre allemande et au bénéfice de la SS. L’utili­sation de Birkenau comme grand camp de prisonniers de guerre n’a pas abouti. Il devient finalement le plus grand centre de mise à mort immédiate des populations juives d’Europe (90 % des victimes du camp, dont les 4/5 sont assassinées immédiatement). »

 

Libération d'Auschwitz

L'évacuation du camp

En janvier 1945, l'armée rouge approche d'Auschwitz. la situation du système concentrationnaire se dégrade rapidement. Le régime de violence arbitraire est rendu plus dur encore par la détérioration de la situation alimentaire et sanitaire... Les nazis décident d'évacuer le camp. Le 18 janvier 1945, les déportés rassemblés par les S.S. sont jetés sur les routes. Commencent alors les terribles marches de la mort : à pied ou dans des wagons à ciel ouvert, les déportés sont transportés vers les camps encore en activité. Ceux qui ne peuvent pas suivre sont abattus.

A Auschwitz, ne sont restés que les malades et quelques déportés qui ont pu se cacher dans les baraques. Pendant dix jours, les 7650 prisonniers restant vivent entre deux mondes, pas encore libres, mais déjà hors de portée.

Auschwitz libéré

 

 

Les soldats de l'armée rouge entrent dans le camp, le 27 janvier 1945.

 

Le général russe Petrenko, arriva à Auschwitz le 29 janvier 1945, trois jours après la libération du camp :

« Le jour de mon arrivée à Auschwitz, on avait compté sept mille cinq cents rescapés. Je n'ai pas vu de gens « normaux ». Les Allemands avaient laissé les impotents. Les autres, tous ceux qui pouvaient marcher, avaient été emmenés le 18 janvier. Ils avaient laissé les malades, les affaiblis ; on nous a dit qu'il y en avait plus de dix mille. Ceux qui pouvaient encore marcher, peu nombreux, se sont enfuis alors que notre armée s'approchait du camp."

 

Un groupe d'enfants juste après la libération d'Auschwitz
Photographie, 1945, Museum d'Auschwitz-Birkenau, Neg.-Nr. 766

Photographie de Stephen Bleyer prise lors d’un examen médical après la libération du camp alors qu’il avait 14 ans.

Des enfants libérés d'Auschwitz montrent leur tatouage.

 

La marche de la mort

la marche de la mort Auschwitz

La marche de la mort, 2004. Myriam Smulevic, connue sous le surnom d’artiste Sala

 

Récit de l’évacuation d’Auschwitz vers Buchenwald par Robert Marcault vendredi 20 mars 2009

« A mi-janvier 1945, le camp d’extermination d’Auschwitz est en pleine effervescence. Le bruit court que les Russes sont dans les faubourgs de Cracovie, la rumeur d’une liquidation totale circule parmi nous, semant partout une panique rentrée. Tard le soir, par un temps glacial, les déportés sont rassemblés, et l’appel de ceux qui doivent partir est rapidement fait, c’est l’évacuation : nous reprenons espoir, on ne va pas nous liquider.
Sur la route, dès la sortie, nous rejoignons de longues colonnes venues des autres camps de la région et la grande épreuve, pire que la mort annoncée au début de cette rumeur, commence.

Transformés en morts-vivants cachectiques par les longs mois de mauvais traitements et de malnutrition, nous avançons péniblement. La soif et la fièvre infligent de terribles souffrances, mais il faut marcher, toujours marcher, les coups pleuvent, les nazis paniquent : les Russes ne sont plus très loin.

Le délire prend le pas sur la réalité, je dors en marchant, je vois des châteaux illuminés, des fontaines qui coulent, je mange du pain. Je ne sens plus les coups et j’avance comme un automate. Nous trébuchons sur des mourants. A l’arrière de la colonne, les nazis abattent ceux qui traînent.

Depuis que nous avons quitté Auschwitz, le temps écoulé me semble être une éternité, mes galoches sont fichues, je marche les pieds nus dans la neige, le blizzard souffle, les jours et les nuits se succèdent, je lutte contre les mirages obsédants de la soif et de la faim, le désarroi m’envahit, je sens que je vais mourir. L’abandon physique est là, et cette dysenterie qui me vide... Le froid intense fige aussitôt le liquide qui s’écoule de moi et le transforme en autant de poignards et d’aiguilles tranchantes qui me lacèrent le corps. Mes jambes ne veulent plus avancer, mais je voudrais tellement vivre. Les haltes sont l’occasion choisie par les SS pour se distraire cela consiste à obliger quelques déportés choisis au hasard à quitter la route et à courir dans la neige profonde qui recouvre les champs : les SS tirent alors sur les cibles humaines appelant cela « le tir aux lapins » avec leurs grands éclats de rires de meurtriers imbéciles.

Cette marche impitoyable dure des jours et des nuits, hallucinante et irréelle.
A bout de force, épuisés, délirants, torturés par le froid, la soif, la faim, la peur, spectres en guenilles dans nos loques rayées, survivants de cette impensable marche de la mort, nous pénétrons dans le camp de Gross-Rosen. L’horreur, la neige sale, les corbeaux, l’odeur des crématoires, la mort, une vision d’apocalypse nous accueille.

Accompagnés des brutalités habituelles, nos corps meurtris, transis de froid, traversent la place d’appel, véritable cloaque, où gisent désarticulés d’innombrables cadavres.

Un matin, dans la nuit noire devant la baraque par un temps glacial de janvier, nous sommes en rang, en colonne par cinq, pour recevoir notre pitance : une mince tranche de pain noir moisi, et après un rapide comptage, la marche à la mort reprend sur la route sans fin. Le calvaire dure encore longtemps, les jours et les nuits se succèdent.

A la fin, on nous fait monter dans des wagons de marchandises découverts, du type de ceux dont on se sert pour le transport des marchandises lourdes, par exemple le sable ou le gravier. Nous sommes si serrés que nous ne pouvons nous asseoir, encore moins nous mouvoir, si bien que les mourants même flasques restent debout, ceux qui glissent étant irrémédiablement écrasés.

Au débarquement, en gare de Weimar, l’hécatombe est impressionnante. Nos camarades de misère, morts ou agonisants, jonchent les wagons...
Buchenwald  : une immense place d’appel...
Plus tard je fus dirigé vers les baraquements destinés aux enfants (j’avais quinze ans) appelé "Petit Camp" qui était en fait un sinistre mouroir.
Puis ce fut le cloaque qui avait pour nom hôpital. C’est-là que je fus libéré...
"

 

Le testament des déportésDimanche 27 avril 2014

Source : Amis de la fondation pour la mémoire de la déportation

Journée nationale du Souvenir de la Déportation

En ce jour de recueillement et de souvenir qui marque le 69e anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination, c’est d’abord à celles et ceux d’entre nous qui ne sont pas rentrés de la terrible épreuve de la déportation que nous voulons penser. Persécutés, pourchassés, arrêtés ou raflés dont des milliers d’enfants, tous ont connu les conditions inhumaines des camps, la dégradation de l’être humain et la mort.

Si l’année 1944 fut en France, celle de la libération du territoire, elle fut aussi celle d’un renforcement et d’une aggravation de la répression et de la déportation marquée par la poursuite des activités meurtrières dans les camps.

L’espoir suscité par le Débarquement de Normandie puis de la Libération de Paris fut estompé par le durcissement et la radicalisation du régime nazi qui ne renonçait à aucun de ses objectifs criminels.
La condition de vie des détenus s’aggrava en 1944 et les chances de survie diminuèrent.

Dans nos sociétés où réapparaissent des actes et propos xénophobes, racistes, antisémites et discriminatoires , les rescapés des camps de la mort rappellent toute l’importance des valeurs de solidarité, de fraternité et de tolérance, qu’ ils n’ont eu de cesse de promouvoir et défendre depuis leur retour.
Il appartient aux générations suivantes de préserver ces valeurs qui sont celles de la République.

Ce Message a été rédigé conjointement par :

La Fondation pour la Mémoire de la Déportation (F.M.D.)

La Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance (F.N.D.I.R.)

La Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes (F.N.D.I. R. P.)

L’Union Nationale des Associations des Déportés, Internés et Familles de disparus (U.N.A.D.I.F.)