100 noms pour la liberté

Hommage de Paul Antoine Luciani aux résistants :

La forme choisie pour cet hommage rendu à la Résistance corse a été inspirée par un célèbre poème d’Aragon : « Le conscrit des cent villages »*.

Mais ce qui est à la base du poème, ce ne sont plus des noms de lieux chargés d’images, d’histoire et de musiques, ce sont des prénoms. Ces prénoms sont ceux d’authentiques héros et martyrs, fusillés, déportés, morts au combat (en Corse ou sur le continent), ou bien survivants et devenus grands témoins. Soldats de l’ombre ou de l’armée régulière, leur destin commun aura été de se dresser contre l’occupation fasciste de la Corse et de contribuer à débarrasser l’Europe du nazisme.

Cette approche « par les prénoms » s’est imposée naturellement : les prénoms instaurent une familiarité. Ils nous rapprochent de ces hommes et de ces femmes dont le souvenir s’efface peu à peu de nos mémoires. Alors que leur engagement, leurs parcours, leur exemple continuent d’inspirer nos combats d’aujourd’hui…

Certes, les commémorations officielles perpétuent le souvenir de certaines individualités prestigieuses et emblématiques qui illustrent et résument le sacrifice de tous les autres ; mais elles peuvent aussi faire oublier que la Libération a été un formidable mouvement de masse impliquant des milliers d’acteurs. Nous voulions rendre hommage à des femmes et des hommes qui nous ressemblent, et qui doivent rester proches de nous, réunis dans leur diversité : ils ont tous combattus pour nos libertés.

Nous avons conscience qu’une liste de cette nature risque d’apparaître comme une injustice à l’égard de ceux, nombreux, qui n’y figurent pas. Mais il nous était impossible de dresser une liste complète. D’abord, parce que nous ne connaissons pas tous ceux qui, à des titres divers, ont apporté une contribution à cette lutte immense.

Ensuite, parce qu’il existe (même si elle ne peut être sans lacunes) une liste de noms où nous avons puisé nos exemples ; c’est celle que Maurice Choury a établie et publiée dans « Tous bandits d’honneur »**. Elle est longue et difficile à exploiter dans le format choisi. Le recours aux prénoms permet de dépasser cette difficulté (sans la résoudre complètement) car le nombre des prénoms homonymes renvoie à un nombre bien plus grand de patronymes : comme il y a les prénoms connus et ceux qui le sont moins, il y a aussi ceux qui sont partagés ; et c’est ainsi que les soixante-seize prénoms cités dans ce texte sont, en réalité, ceux de deux cent douze patriotes identifiés ; ce sont ceux que l’on peut retrouver, pour partie, dans la liste publiée par Maurice Choury, ou bien dans d’autres publications. Une liste complète, s’il était possible de l’établir, serait encore plus longue… Le caractère collectif de l’hommage s’en trouve encore plus nécessaire et mieux souligné.

Enfin, il fallait respecter les exigences propres à l’écriture des alexandrins : associer des prénoms, simples ou composés, en les organisant par groupes de douze syllabes rimées, sans rechercher de correspondance étroite entre ces prénoms et les faits ou thématiques des différentes strophes où ces prénoms ont été placés.

Quant au titre, il faut ici entendre « Cent » comme « Beaucoup » : nous avons voulu évoquer ainsi une force collective, et tenté d’illustrer, à notre manière, « l’élan de tout un peuple contre la tyrannie », selon l’expression d’Arthur Giovoni.

Le lecteur jugera du résultat.

*La Diane française, (Œuvres poétiques complètes, éd. La Pléiade, page 1014).

** Tous bandits d’honneur, (Ed. Alain Piazzola 2012 , pages 185 à 199).

 

CENT NOMS POUR LA LIBERTÉ

Ceux qui ont dit Debout ! Nous entendons leurs voix

Arthur, Albert, André, Antoinette, François,

Eux qui refusaient que l’on nous mette au pas,

Nonce, Noël, Pierrot, Jérôme, Nicolas,

Catherine, Tristan, Philippe, Jean-Donat

*

Dans la nuit du fascisme, ils se sont tôt levés,

Hyacinthe, Madeleine, Ange Marie, Renée,

Pour s’unir et s’armer dans la Corse occupée,

Pierre, Marie, Martin, Charlot, Félicité.

*

Malgré les noirs essaims qui nous cachaient le ciel,

Malgré le Maréchal, ses lois, ses sentinelles,

Dominique, Léo, Jéromine, Danielle,

Jean, Jules, Fred, Michel, Francette, Gabriel,

Ange, Emile, Pierre-Jean, Paul, Fabrice, Julien

Agissaient, rassemblaient pour un autre destin.

*

Des femmes à Bastia, dans la rue, pour le pain,

Des jeunes gens au maquis, qui ouvraient le chemin

Un espoir renaissait de cette ardeur féconde :

C’étaient les forces neuves qui changeraient le monde !

Ils n’avaient dans le cœur que l’amour de leur terre,

Don Jacques, Jean-Toussaint, Paul-Marie, Félicien ;

Et la seule volonté d’en chasser la misère,

Simon-François, Sauveur, Marcel, Pascal, Lucien.

*

Souvent même prénom, toujours même combat ;

Un idéal commun de tous réglait le pas,

Ceux qui n’y croyaient pas et ceux qui priaient Dieu,

Bébé, Barthélémy, César, Jeannot, Mathieu,

Raoul, Guy, Benoît, Rose…. Fusillés, survivants,

Envers tous et chacun, soyons reconnaissants !

*

Ils portaient un flambeau sous le ciel incertain

Jean-Bati, Jean-François, Luc, Antoine, Toussaint.

Ils portaient le soleil, la liberté, la vie,

Simon-Jean, Jean-Mèmè, Maurice, Jacques, Henri.

Paul-André, Sébastienne, Roger, Ours-Marie,

Sacrifiés pour nous, au nom de la patrie,

Maria, Robert, Titus, Jean-Paul, Joseph, Louis.

*

La liste est encore longue, en connait-on la fin ?

Isidore, Félix, Ange-Pierre, Gallien,

Laurent, Paulin, Françoise, Archange, Séraphin …

N’oublions pas non plus les tabors marocains, Le bataillon de choc, les mutins italiens :

Contre l’armée nazie, ils se sont tous dressés,

Et pour nous délivrer, eux aussi sont tombés.

*

Gardez, gardez au cœur les noms de nos héros

Ils n’ont pas reculé, même face au bourreau !

Du vrai progrès humain, ils furent les apôtres,

Dans leurs pas glorieux, mettons aussi les nôtres,

Et comme repère sûr, gardons leur goût des autres !

Répétez, répétez ces noms qu’il faut aimer ;

Pour nous ils resteront ceux de la Liberté !

*

Paul Antoine Luciani Juillet 2013