Dominique Bucchini

Allocution de M. Dominique Bucchini, Président de l'Assemblée de Corse

Monsieur le Député-maire,
Monsieur le Président du conseil exécutif ou son représentant,
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Préfet,
Chers amis,

Je souhaite, tout d'abord, saluer la présence de Monsieur Robert Chambeiron, compagnon de Jean Moulin, secrétaire général adjoint du Conseil National de la Résistance et ancien parlementaire national et européen qui nous fait l’honneur d’être présent parmi nous à l’occasion du soixante-huitième anniversaire de la libération de la Corse.

Il y a des livres qui ne nous quittent pas. Comme un ami auquel nous rattachent tant de moments importants de notre vie et auquel on pense souvent, comme une maison qui nous a vus grandir et où nous savons retrouver tant de souvenirs. Ces livres là, rares, nous les gardons en mémoire longtemps après avoir tourné la dernière page ; un nom de personne ou de lieu soudainement les évoque, certaines circonstances les font invariablement advenir à la conscience. Ces livres font partie de nous. Pour moi, il en est ainsi de « Tous Bandits d’honneur » de Maurice CHOURY ; pour moi et, j’en suis sûr, pour beaucoup d’entre vous, cet ouvrage est un repère dans le passé, un phare illuminé par l’épopée qu’il raconte et qui, à travers lui, éclaire le chemin.

Lorsque le livre parut, en 1956, peu de temps, finalement, après que les armes se soient tues, bien que l’histoire fut toujours chaude et proche, il reçut une approbation quasi-générale car il respectait les faits, l’équilibre des différentes branches de la Résistance, traduisant l’honnêteté intellectuelle de son auteur. Basé sur une documentation de première main, il devint une référence. Acteur de premier plan de cette période, Maurice CHOURY se fit journaliste relatant les faits, mémorialiste rendant hommage à ses camarades de combat, historien rendant compte de l’histoire immédiate.

Je ne rappellerai pas ici ce que fut la vie de Maurice CHOURY, qui fait l’objet –tout comme Danielle CASANOVA-d’un volet du triptyque de l’exposition qui nous réunit aujourd’hui. J’en veux simplement retenir le caractère. Chez lui cohabitaient l’aptitude à agir, avec promptitude et détermination, et la faculté d’analyse, la sûreté de jugement. On sait le rôle décisif qu’il joua dans le déclenchement et dans le succès de l’insurrection du 9 septembre, puis dans le ralliement à la France libre. Il se révéla, comme l’écrit Hélène CHAUBIN, « l’infatigable artisan qui marqua de sa clairvoyance et de son extraordinaire énergie la libération de l’île ».

Homme d’action et de culture, acteur et passeur d’Histoire, il a eu l’immense mérite d’immortaliser la Résistance.

Soixante-huit ans ont passé, depuis ce jour du 9 septembre 1943 où, après l’annonce de l’armistice avec l’Italie, le Front national lançait l’ordre d’insurrection, destituait le préfet de Vichy, s’érigeait en « Conseil de préfecture » et proclamait son attachement à la France libre. Puis se succèdent les épisodes comme autant d’étapes sur le chemin de la Libération : l’arrivée du « Bataillon de choc » avec le « Casabianca », les combats de Bastia jusqu’au 4 octobre, ceux de la côte Est, de Levie, de Quenza, les Goumiers à Teghime… C’est ainsi que l’action conjuguée de la Résistance et des Forces Armées a fait de la Corse, selon le mot du Général de Gaulle, « le bastion avancé de la délivrance de la Nation » pouvant dès lors servir de base pour la victoire en Italie puis pour le débarquement de Provence.

Tout se serait passé autrement, tardivement, si les Résistants Corses s’étaient résignés à n’être qu’une force supplétive ayant pour rôle de préparer l’intervention des armées alliées. De l’avis des chefs militaires eux-mêmes, l’insurrection a permis de libérer l’Île non seulement avec une année d’avance mais en peu de temps et avec des moyens réduits alors qu’une action de vive force selon leurs plans aurait nécessité l’engagement de cinq divisions supplémentaires!

Si la Résistance Corse a pu vaincre, c’est qu’elle s’appuyait sur une très large et forte adhésion de la population, et que, soudée par le patriotisme et l’antifascisme, le spectre de l’annexion italienne ravivé par l’occupation depuis ce funeste 11 novembre 1942, elle a réussi à s’unir ; autour du Front National créé par le parti communiste, chacun –Gaullistes, Communistes- a fait passer, comme l’explique Ange-Marie FILIPPI-CODACCIONI, ses arrière pensées et ses plans partisans après l’objectif de la libération de l’Île. Le Front National sut enfin définir et appliquer la tactique audacieuse menant au succès.

De tout cela, l'ardeur patriotique, l'instinct de la liberté, la conscience des objectifs de la lutte, l'esprit de sacrifice, l'exposition d'aujourd'hui témoigne selon moi d'une manière éloquente.

La richesse de la documentation lui donnant une valeur encyclopédique, l'agencement des documents, le parcours proposé, nous invite à pénétrer dans le passé, dans la mémoire et nous permettent de ressentir, derrière les photographies, le tressaillement de la vie. Ces noms qui se succèdent, que l'on pourrait chanter, psalmodier, ceux de ces partisans parfois si jeunes, les plus connus bien sur, Jean Nicoli, Fred Scamaroni, Giusti, Mondoloni, Arthur Giovoni et tous les autres, tous ces héros de cette épopée fondatrice que fut le combat de la résistance insulaire.

Je voudrais citer aussi, par honnêteté intellectuelle, le nom de Paul Giacobbi, seul parmi les représentants de la Corse à n'avoir pas voté les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 et qui rejoignit la résistance.

Nous continuons de puiser dans l'histoire de la résistance des messages d'espoir : la simplicité et la grandeur d'une action libre et consciente, une morale de l'action désintéressée, le chemin de la dignité et de la construction de l'avenir pour une Corse sereine et généreuse au sein de notre République.

Nous devons conserver cet « esprit de résistance », au moment où le pacte social et national que représente le programme du Conseil national de la résistance est en butte à de dures attaques.

Je ne saurai conclure mon propos sans féliciter admirablement Madame Isaline Amalric, maître d'oeuvre passionnée et talentueuse de l'exposition ainsi que tous ceux qui l'ont aidée dans ce projet, mes remerciements aussi à l'ANACR, dont l'activité est si précieuse, et, bien entendu, à la ville d'Ajaccio et à ses élus.

Je souhaiterais que cette exposition puisse être diffusée, tout d'abord en Corse, car il me semble capital que les élèves, les jeunes et l'ensemble des citoyens puissent connaître leur histoire, mais aussi sur le continent, où trop souvent, malheureusement, on ignore qu'Ajaccio et la Corse furent la première ville et le premier département libérés de notre pays, la France.

Je vous remercie