Discours ANACR

Commémorer un évènement aussi marquant que celui qui, il y a 70 ans, allait s’avérer un signal très fort, celui du soulèvement d’un peuple contre les oppresseurs fascistes et nazis qui, dix longs mois auparavant avaient envahi ce petit bout de France, commémorer un tel évènement ne peut s’accomplir de façon banale, avec de simples mots convenus.

Aussi mon intervention s’attardera sur le caractère particulier de l’évènement que nous célébrons, sur les valeurs au nom desquelles celles et ceux, héros et martyrs de la Résistance Corse menèrent le combat contre le fascisme et le nazisme, contre la force bestiale pour la liberté et le triomphe des valeurs humaines.

Il est vrai que l’unité des forces résistantes de Corse ne s’est réalisée qu’après plusieurs tentatives infructueuses et c’est le 19 Mars 1943, après la mort héroïque de Fred Scamaroni que le Front National pour la Libération et l’indépendance de la France devient l’organisation unique regroupant des hommes et des femmes de convictions politiques, religieuses et philosophiques diverses.

Diversité dans la Résistance mais objectif commun :
- chasser l’ennemi du sol national
- éliminer le régime de Vichy
- rendre la parole au peuple
- et fidélité au serment de Bastia du 30 novembre 1938 prononcé en réponse aux prétentions annexionnistes de Mussolini : « Sur nos tombes et sur nos berceaux nous jurons de vivre et de mourir Francais ! »

Tout cela résumé dans le mot d’ordre « pour une Corse libre et francaise »

En outre, la Résistance corse avait exprimé de façon claire que la libération de la Corse serait l’oeuvre du peuple corse lui-même.

Cette convergence d’objectifs assure le succès de l’insurrection populaire dont l’ordre est lancé à la foule des Ajacciennes et des Ajacciens par Maurice Choury juché sur le toit d’une ambulance devant la mairie de la ville.

Enfin, voici venue l’heure de laver l’affront subi par le peuple de Corse le 11 novembre 1942, jour funeste qui vit 80 000 soldats de Mussolini suivis quelques mois plus tard par les troupes d’Hitler, fouler le sol de Corse, humilier la Corse qui s’était donnée 150 ans plus tôt librement à la France, la France de la Révolution, celle des droits de l’Homme et du Citoyen!

Oui, l’attachement à la France des Lumières, celle que déjà en 1939 Pétain résumait dans cette formule haineuse : « 150 ans d’erreurs ! »

Et c’est une foule en liesse qui reçoit, ce matin du 9 septembre 1943, l’annonce par les membres du Comité Départemental du ralliement de la Corse à la France Libre.

Et quelques heures plus tard, Ajaccio, notre ville, sera la première ville de France libérée.

Alors même qu’il n’entrait pas dans la stratégie de la France Libre, du gouvernement d’Alger ni des Alliés que les patriotes corses se soulèvent pour chasser l’ennemi hitlérien de leur sol, l’insurrection et les combats victorieux du 9 septembre au 4 octobre 1943 allaient offrir à ceux -là un formidable porte-avions (« USS Corsica ») en Méditerranée : la Corse libérée, ses ports, ses criques, ses aérodromes qui s’avèreront précieux dans les combats qui avaient lieu sur le front italien et dans la préparation du débarquement de Provence ; les Corses libérés dont 12000 jeunes de 20 a 28 ans s’engageront dans l’armée de libération de l’Europe.

Il serait injuste d’oublier dans notre hommage les forces venues d’Afrique du nord prêter main- forte aux patriotes corses pour libérer notre île : les 109 soldats du premier Bataillon de Choc acheminés depuis Alger, entassés dans les entrailles du valeureux sous-marin « Casabianca de l’héroïque commandant L’Herminier, leurs camarades débarqués les jours suivants des navires « Le Terrible » et « Le Fantasque », les soldats marocains, les spahis, les valeureux goumiers.

Il serait injuste d’oublier les éléments de troupes italiennes ralliées aux forces de libération pour bouter hors de Corse l’occupant allemand avant d’avoir retardé son repli vers le front italien. Ce serait une erreur de considérer que les chefs de la Résistance corse ont été animés par la seule hardiesse. Ce fut en fait une « hardiesse calculée » pour reprendre l’expression d’Arthur Giovoni. C’est parce qu’ils ont réussi à être en osmose avec une grande majorité des Corses, qu’ils ont agi sur le levier social dans la population qui souffrait des privations, en même temps que sur le levier politique de l’antifascisme que leur stratégie s’est avérée victorieuse. Ils possédaient l’arme la plus efficace : celle de la conviction.

« C’est dans la nuit qu’il est beau de croire à la lumière » a écrit Edmond Rostand.

C’est dans la nuit de la montée du fascisme, de l’irrédentisme et du nazisme, c’est dans l’obscurité des prisons et des camps, c’est dans les heures les plus sombres et les plus oppressives de l’occupation que nos héros et nos martyrs ont lutté, résisté pour un idéal de justice, de liberté et de fraternité.

Veillons à ce que notre jeunesse fasse siennes ces valeurs et qu’elle refuse de se laisser happer par la cupidité et la violence.

Pour le 70eme anniversaire de ce jour libérateur et chargé d’espérance rendons un hommage sincère et profond aux acteurs et actrices, la plupart disparus de ce soulèvement populaire, en contribuant à sauver et à conforter les valeurs qui éclairaient leur chemin.

Vive Ajaccio, première ville de France libérée !
Vive la Corse, premier morceau de France libéré ! Deux vérités historiques trop longtemps tues.
Vive la République et vive la France !