9 septembre 2019
9 septembre 2019
Le 76ème anniversaire de l’insurrection de la Corse a été commémoré, notamment à Ajaccio. Avec la population -beaucoup d’élèves-, étaient présents les élus et les autorités civiles et militaires. Après la lecture par une élève d’extraits du discours du Général De Gaulle, Andrée Vespérini, secrétaire de l’ANACR de Corse du sud a prononcé un discours qui sera suivi par le dépôt de gerbes et l’exécution des hymnes par la musique municipale.
LE DISCOURS D’ANDRÉE VESPERINI
Le 8 septembre 1943 au soir, aussitôt l’annonce faite, par la radio, de la capitulation de l’Italie fasciste, les gens descendent spontanément dans les rues pour exprimer leur joie. A Ajaccio, une manifestation parcourt la ville mais c’est le lendemain matin que les dirigeants du Comité Départemental du Front National de la Résistance donnent rendez-vous à la population sur le cours Napoléon. Par la voix de Maurice Choury, le Comité lance l’ordre d’insurrection et proclame le rattachement à la France Libre. « Ce jour-là, nous avons lavé la honte du 11 novembre » dira plus tard Arthur Giovoni, un des dirigeants du Comité Départemental ; ce funeste souvenir du 11 novembre 1942, quand les troupes italiennes ont commencé à débarquer à Bastia, et que la gouvernement de Vichy avait donné l’ordre de » les accueillir avec calme et dignité ».
Le 11 novembre 1942 avait été une humiliation : la Corse avait été envahie sans combattre ; c’était une trahison du serment de Bastia prononcé le 4 décembre 1938 par des milliers de personnes ; un serment largement partagé par les Corses, à l’exception d’une pognée d’irrédentistes : «Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes et sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français». Un serment prononcé après que le Conseil fasciste ait clairement affiché ses prétentions annexionnistes sur l’île. Un serment de Bastia qui sera trahi par le gouvernement de Vichy et ses partisans dans l’île; un serment que la Résistance entendait, elle, honorer en rassemblant les patriotes dans leur grande diversité d’opinion philosophiques, religieuses et politiques. « Tout nous divisait sauf l’essentiel » constatera plus tard le général Jacques Chaban-Delmas, le président d’honneur de notre association.
L’essentiel ? Les droits de l’homme et du citoyen bafoués par les fascistes. L’essentiel en Corse ? Rester Français. Pas dans la France de Vichy, pas celle de la collaboration, mais celle de la Résistance, celle de l’honneur et la dignité. Et pour résister il fallait s’unir. C’était le mot d’ordre de la Résistance « Forti saremu si uniti semu« , nous serons forts si nous sommes unis.
Dès le 9 septembre, et sans attendre l’arrivée des troupes alliées, les patriotes corses, avec leurs seules armes légères harcèlent l’occupant Allemand : 4 000 hommes présents dans l’île en cet été 1943, plus ceux qui arrivent de Sardaigne par Bonifacio -quelque 25 000 hommes, tous lourdement armés.
Bonifacio, l’extrême sud de l’île et l’Alta Rocca où les troupes allemandes ont leur Quartier Général seront, durant les premiers jours de l’insurrection, un endroit stratégique pour les Allemands. Dans l’Alta Rocca il y sont solidement installés avec 200 tonnes d’armes et munitions, 600.000 litres de carburant et un hôpital de campagne. Mais c’était sans compter sur la détermination et le courage des patriotes qui finiront par les déloger ; seuls ces patriotes, sans le concours de l’armée française pas encore débarquée sur l’île ; seuls avec l’aide trop mesurée et hésitante de l’armée italienne mais une aide qui s’avèrera décisive quand elle se rangera aux côtés de la Résistance, en dépit de l’attitude équivoque de son Etat-Major. Ce fut le cas de l’unité que commandait le lieutenant Buschaï qui aida les insurgés de l’Alta Rocca.
Le prix à payer fut lourd pour la Résistance – 21 morts ; sans oublier les 10 morts Italiens qui combattirent à leur côté. Ce sacrifice et cette victoire valurent au village de Levie sa « Citation à l’ordre de l’Armée ». « Village du Haut Sartenais à la pointe de la Résistance et du combat. Dès le 9 septembre 1943, dressé dans sa fierté, sous les ordres de ses chefs, a attaqué le premier en Corse les troupes allemandes qui avaient commencé leur mouvement en direction du Sud. » Et le général Henry Martin, Commandant l’armée française de Libération de la Corse, commentera : « J’ai souvent cité en exemple la farouche résolution des gens de Lévie. Elle a grandement contribué à l’arrêt de la poussée allemande vers la côte occidentale puis à la décision d’évacuation totale. » Cet hommage de la nation va à tous ces Résistants, femmes et hommes, « ces va-nu-pieds superbes » avec à leur tête des chefs avisés comme le Lieutenant Alphonse de Peretti, l’adjudant Paul Nicolaï et le sergent Marco Cervi .
Ce 9 septembre commençaient les combats de la Libération qui s’achèveront le 4 octobre à Bastia lorsque les derniers Allemands auront quitté l’île. Militairement ce ne fut pas négligeable mais ce serait minorer l’évènement que de s’en tenir aux seuls effets militaires de cette insurrection victorieuse. Le général de Gaulle, en a dit toute la portée dan son discours prononcé le 8 octobre à Ajaccio.
L’histoire des résistances locales en France atteste de l’impact de la victoire corse sur le moral des maquis du continent. La liesse qui s’est emparée des Corses en cet automne 1943 au lendemain de la libération de l’ile. Elle atteint son paroxysme le 30 novembre1943 jour anniversaire de la proclamation par l’assemblée constituante du rattachement volontaire de la Corse à la France de la Révolution, le 30 novembre 1790. Ce jour est décrété férié pour les insulaires et selon le témoignage du général Gambiez toute la Corse est en fête ! A Ajaccio, une salve de 21 coups de canons débute cette journée ponctuée par un Te Deum dans la Cathédrale et un défilé militaire. Ce même jour un détachement d’éclaireurs-skieurs du premier régiment de tirailleurs marocains plante un drapeau tricolore sur le Monte Cinto.
On peut s’étonner de tant de ferveur patriotique si on ne prend pas la mesure de ce qui était en jeu pour les corses durant la Deuxième Guerre mondiale à savoir l’annexion de l’île par l’Italie fasciste donc la perte d la nationalité française. Non pas celle imposée par le despotisme en 1769 après la défaite des troupes de Pascal Paoli à Ponte Novo, mais celle conquise en 1789 par notre participation à la Révolution ; Français non pas en tant que sujets du Roi mais Français citoyens de la République ! Ça change tout …et quelles qu’aient pu être les dérives qu’elle connut, « la Révolution fut une grande lumière jetée sur l’histoire universelle » écrit notre compatriote, le philosophe Jacques Muglioni. « La Nation écrit J. Muglioni c’est le choix volontaire – ce fut celui de la Corse en 1789 – d’hommes par lequel l’individu relativise sa particularité pour se hisser à un premier degré d’universalité. »
Commémorer avec éclat en 1943 le 30 novembre 1789 c’était comme comme un pied de nez à Goebbels qui prétendait que la « Révolution Française serait rayée de l’histoire » ; un pied de nez à Mussolini qui affirmait que le National-socialisme en était l’antithèse ; un pied de nez à Pétain qui considérait en 1939 que la France depuis 1789 avait vécu « 150 années d’erreurs » ; un pied de nez à l’idéologue nazi Rosenberg qui en ce triste automne 1940 avait choisi le Palais bourbon pour nous infliger une conférence intitulée : « Règlement de comptes avec les idées de 1789 et avec la Révolution » ; un pied de nez également aux irrédentistes corses qui écrivaient dans le journal la Muvra : « …les corses sont les plus grandes victimes de l’esprit de 89 …parce que l’assimilation et l’égalitarisme révolutionnaire nous ont valu des maisons en ruines, des villages déserts, la malaria et les nombreuses guerres que l’œil sanglant du jacobinisme a déchaîné sur le monde. »
Aujourd’hui nous devons nous inquiéter de la résurgence de cette idéologie des anti-Lumières qui inspire à nouveau des politiques partout dans le monde, en Europe et en France. « C’est dans la nuit qu’il est beau de croire à la lumière » écrit Edmond Rostand. C’est dans les heures les plus oppressives de l’occupation que nos martyrs ont lutté résisté pour un idéal de justice de liberté et de fraternité. Veillons à ce que notre jeunesse fasse sienne ces valeurs et qu’elle refuse de se laisser séduire par la cupidité et la violence.
En ce jour d’anniversaire rendons hommage aux acteurs et actrices la plupart aujourd’hui disparus qui ont contribué par leur abnégation et leur courage à sauver et à conforter les valeurs fondamentales qu’ils partageaient et qui ont été proclamées par la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948.
Vive Ajaccio première ville de France libérée. Vive la Corse premier morceau de France libéré. Vive la République. Vive la France
Andrée Vesperini
Crédit photo De Gaulle à Ajaccio Jean Tourtois et Jean Noël Aïqui