Lettres de Danielle Casanova
Arrêtée le 15 février 1942 par la police française. Elle parvient à faire sortir quelques lettres pour sa mère, du dépôt de la préfecture de police, puis du Fort de Romainville. Quelques extraits des lettres de Danielle :
1ère lettre du dépôt de la prefecture
« Comme toujours, ma santé et mon moral sont excellents. Mon courage et ma confiance sont très grands. Et toi, maman chérie, je pense que tu apprendras la nouvelle comme une mère vaillante et que tu ne te feras pas trop de soucis pour moi.(…)
Apprends mon arrestation aux amis et aux parents (…)
Je suis fière de ma vie. (…)
Si je n’ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de Corse, ni celui de l’Ile-de-France, j’ai du soleil plein le cœur ; je suis calme et solide ».
2ème lettre du dépôt de la préfecture
« Dites à tout le monde que je suis en excellente santé. Je me sens très forte, et autour de moi mes amis sont admirables de courage.
Ma chère maman, rien ne s’arrête jamais et tout continue. Bientôt viendront les beaux jours.
Ne pensez jamais à moi avec inquiétude. Je suis heureuse et je t’embrasse de tout mon cœur ».
3ème lettre du dépôt de la préfecture le 19 mars 1942
« Ma chère maman, n’oublie pas de parler de moi à tous ceux que tu connais, car, à l’heure actuelle, c’est une fierté que d’être emprisonnée.
Je t’ai déjà dit combien je me sentais calme et forte et je sais que tu seras toujours et dans toutes les circonstances très courageuse. »
Lettre de Romaiville le 14 septembre 1942
« Ce dont nous nous doutons, c'est que nous serons soit déportées en Allemagne, soit gardées ici comme otages.
Le régime de la Santé était des plus odieux : secret, discipline de fer, ou plutôt brimades et traitements inhumains. Maï Monique et moi, nous avons fait du cachot, pas nourries de quatre jours, couchées sur le plancher, pas de couvertures ni de manteaux, et cela pendant huit jours consécutifs.
Depuis que nous sommes ici, nous continuons à souffrir terriblement de la faim, et nous en sommes réduites à manger les trognons de choux jetés à la poubelle et les épluchures de pommes de terre, que j'avale difficilement et que je n'aimerai jamais.
Toujours au secret, nous n'avons pas le droit de correspondre ni de recevoir de colis. (…)
Je ne vous ai rien dit sur notre moral. De ce côté-là, ça va admirablement bien.
Dites bien à tout le monde que les amies dont les maris ont été fusillés ont supporté avec un très grand courage cette terrible épreuve et qu'elles sont en tous points dignes de ceux qui ne sont plus. D'eux, je ne vous parle pas mais sachez seulement qu'ils sont morts en héros.
Les souffrances mêmes ne nous ont en rien abattues. Notre foi et notre confiance sont très grandes.
En elles, dans l'amour de notre pays et de notre Parti, nous puisons la force de résister aux dures épreuves de l'emprisonnement, et nous sommes prêtes à tout ».
Lettre de Romainville le 26 septembre 1942
« Nous ne sommes jamais tristes. La souffrance n'attriste pas elle donne des forces.
Quand ils ont fusillé Georges, Félix, Arthur, nous avons connu la plus grande douleur qui soit.
Le jour où nous aurons nos oppresseurs, ils paieront cher tout cela.
Si le ventre est creux, toujours bon pied, bon œil.
Vois-tu, ils peuvent nous tuer, mais de notre vivant, ils n'arriveront jamais à nous ravir la flamme qui réchauffe nos coeurs »
Lettre de Romainville le 26 octobre 1942
« J'ai beaucoup maigri, mais alors ce qui s'appelle maigri. Pas de trace en ma mémoire d'avoir jamais eu une silhouette pareille, et juste au moment où il n’y a personne pour apprécier mon élégance ».
Lettre de Romainville le 27 décembre 1942
« L’année 1942 a tenu en grande partie ses promesses. Nous n'avons pas encore la victoire, mais elle est maintenant entamée et proche.
L'air est léger et l'espoir habite mon cœur ; en fait, il y a élu domicile depuis toujours.
Je connais la souffrance mais pas la tristesse, et je trouve la vie si grande et si belle !
Oui, les jours à venir seront durs, très durs, mais ceux qui suivront seront magnifiques ! »
« Derniere lettre de Romainville avant le départ pour Auschwitz »
Demain, 5 heures lever, 6 heures fouille, puis départ en Allemagne.
Nous sommes 231 femmes, des jeunes, des vieilles, des malades et même des infirmes. La tenue de toutes est magnifique, et notre belle Marseillaise a retenti plus d’une fois.
Nous ne baisserons jamais la tête ; nous ne vivons que pour la lutte. Les temps que nous vivons sont grandioses.
Je vous dis au revoir ; j’embrasse tous ceux que j’aime. N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi.
Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune.
Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera ».