Danielle et la résistance

Voir deux expositions à l'entrée Tous Bandits d'Honneur!

Danielle Casanova : http://www.tousbanditsdhonneur.fr/l-exposition/daniele-casanova.html

et Résistance et déportation : http://www.tousbanditsdhonneur.fr/résistance-et-déportation.html

 

 

Danielle résistante avant son arrestation :

 

Dans la résistance Danielle a assuré des responsabilités dans trois directions :

 

L’organisation de manifestations :

- Dirigeante de la jeunesse communiste, elle prend part le 8 novembre 1940 à l'organisation d'une manifestation des étudiants communistes contre l'arrestation de Paul Langevin, professeur au Collège de France ; en décembre 1941, à l'annonce de l'exécution de Gabriel Péri,  elle écrit un tract maudissant les assassins :

Simone Thery témoigne (Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »- Editions hier et aujourd'hui)

Danielle Casanova et Gabriel Peri

Danielle Casanova et Gabriel Peri

- Le 11 novembre 1940 elle organise la participation des étudiants communistes à la manifestation patriotique de l'Arc de Triomphe avec les étudiants gaullistes ;

- Le 14juillet 1941 une manifestation est organisée sur les grands boulevards à Paris. Deux jeunes communistes partent en courant, déployant de grands drapeaux tricolores, d'autres disséminés parmi les nombreuses personnes lançant des mots d'ordre : Vive la France, à bas l'occupant nazi ! Et la Marseillaise est reprise par des passants.

Marie Elisa Norman témoigne : "Malgré la repression qui s'intensifiait de jours en jour, Danielle continuait son combat. Elle organisa plusieurs manifestations dont celle du 14 juillet à laquelle on lui avait interdit d'aller de peur qu'elle ne se fasse arrêter. Les manifestants portaient le drapeau bleu blanc rouge. Danielle est allée en douce à la sortie du métro, pour questionner les jeunes, les étudiants surtout, qui étaient au rendez-vous. Elle discuta, interrogea ces braves femmes sur le quai... Danielle était fière d'elles.»

 

Elle participe à la formation des premiers groupes armés, les bataillons de la jeunesse,  qui donneront en 1941 le signal de la lutte contre l'occupant en tuant un officier allemand dans les couloirs du métro et qui devaient devenir les Francs Tireurs et Partisans, les FTP.

Simone Thery témoigne (Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »- Editions hier et aujourd'hui) :

Danielle Casanova et les FTP

 Parallèlement, dès le début de l'occupation, elle cherche comment faire agir les femmes. Etant elle même femme de prisonnier de guerre, elle organise des manifestations en direction des mairies pour réclamer du ravitaillement pour les enfants et le retour des maris. La plus importante a eu lieu devant le Ministère des prisonniers en rassemblant près de deux milles femmes. Elle publie un journal clandestin « La voix des femmes » ayant pour but d'élever les consciences et appelant à la lutte contre l'occupant.

 Ce sont ces différentes actions qui ont donné naissance peu à peu aux Comités Populaires Féminins de la Résistance, luttant contre la déportation de travailleurs en Allemagne, apportant leur aide aux familles de prisonniers, aidant au ravitaillement des maquis. Ce sont ces comités où se retrouvaient, comme l'avait souhaité Danielle, des femmes d'opinions et de croyances diverses qui ont aboutis dès avant la libération à la création de l'Union des Femmes Françaises.

« Je me rappelle, évoque Marie Stefanini, avoir fait le tour du village pour récolter du lait pour les petits Espagnols que Danielle voulait aider. On les portait à Ajaccio d'où ils partaient pour l'Espagne.

 

En 1941, Danielle s'occupait également – avec le philosophe Georges Politzer, le physicien Jacques Solomon et l'écrivain Jacques Decours- de regroupements d'intellectuels de différentes appartenances politiques opposés à l'occupation de notre pays et qui éditaient des journaux clandestins dès la fin de 1940, telles L'Université Libre et La Pensée Libre. Ces groupements devaient aboutir dès le 15 mai 1941 à un appel pour la création d'un Front National pour la Libération de la France, qui a eu en Corse un rôle également important puisque cette île fut la première terre française à s'être libérée de l'occupant.

 

Après son arrestation Danielle a continué la lutte : 

 

" C'est à partir de ce 11 février 1942 où Danielle est arrêtée, qu'elle affirme le mieux son indomptable liberté, cette liberté indomptable des âmes fortes que ne peuvent réduire bourreaux, prisons, tortures, ni la mort même. Elle débouche maintenant dans l'héroisme, c'est par l'achévement sublime de sa grande vie qu'elle entre dans l'immortalité. Pas un jour, pas une heure pendant ce long calvaire, Danielle ne va renoncer au combat. Parmi toutes ces patriotes admirables que sont ses compagnes de captivité, jamais elle ne cessera d'être le guide, le symbole, l'exemple". Simone Thery ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  » - Editions hier et aujourd'hui )

 

Au dépot de la préfecture

Danielle fut enfermée à la cellule 14, meublée de 2 lits de fer déglingués et 2 petits bancs, avec 25 autres prisonnières. " Toutes ces femmes n'étaient pas des patriotes militantes. Beaucoup avaient été prises dans des rafles, d'autres avaient été arrêtées parce qu'lles étaient les femmes ou les proches de militants connus (...) mais ce ne fut pas long : en un moment Danielle avait animé tout celà. Elle consola celles qui pleuraient, rendit courage à celles qui désespéraient, leur insuffla à toutes une vie politique, leur apprit des chansons, demanda à celles qui savaient chanter d'entraîner les autres. Bientôt on entendit des éclats de rires et des chansons sortir de la cellule 14, et toutes les autres s'empressèrent d'imiter un si bel exemple". Simone Thery ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  » - Editions hier et aujourd'hui )

C'est du dépôt que commence la série de ses admirables lettres à sa mère :

"....Je suis fière de ma vie... Si je n'ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de la Corse, ni celui de l'Ile de France, j'ai du soleil plein le coeur,. Je me sens calme et solide..."

"...Je me sens très forte et autour de moi les amies qui m'entourent sont admirables de courage...Ne pensez jamais à moi avec inquiétude, je suis heureuse..."

"...N'oublies pas de parler de moi avec tous ceux que tu connais, car à l'heure actuelle, c'st une fierté que d'être emprisonnée..."

"...J'amuse bien souvent les amies qui m'entourent, surtout lorsque je chante (Danielle chantait horriblement faux)..."

Lettres de Danielle après son arrestation

Pour visualiser un document en grand, il suffit de cliquer sur son image.

Dans sa deuxième lettre Danielle confiait le petit Michel Politzer à sa mère. Ci dessous un extrait d'une lettre transmise clandestinement à ses parents par Maÿ Politzer :

"Mon amie Danielle Casanova me propose de vous envoyer tous les trois en Corse chez sa mère. Si on vous le propose acceptez car la Gestapo nous a menacés Georges et moi d’envoyer Michel en Allemagne où ils l’élèveront jusqu’à 21 ans. S’ils ne le font pas encore, ils risquent de le faire un jour. Nous commençons à savoir qu’ils tiennent beaucoup de leurs promesses. Aussi n’hésitez pas à mettre le petit à l’abri et même vous-mêmes à l’abri si c’est possible".

 

A la prison de la Santé

 

- Elle organisa des manifestations contre la faim

 

- " A la Santé , elle a fait 8 jours de cachot sans nourriture. En sortant elle était méconnaissable tellement elle avait maigri et jauni. La raison de cette punition est aussi un trait de son caractère ; Danielle avait fait un poème à la mémoire de nos camarades qui venaient d'être fusillés. Le SS de garde est entré dans sa cellule pendant qu'elle le lisait à la fenêtre et a voulu lui arracher ce bout de papier, alors elle l'a avalé. Le lui laisser prendre aurait été une atteinte à sa dignité, une violation de ses sentiments." Marie-Claude Vaillant-Couturier- discours à Ajaccio- 1983

" Lorsqu'elle sortit de là, ses amies qui la regardaient passer ne la reconnurent pas. Leur Danielle si saine, si forte, avait maigri d'une façon effrayante, son visage coloré était devenu d'un jaune verdâtre. Mais elle souriait, comme toujours. Arrivée dans sa cellule, elle se remit à chanter et àfaire son journal parlé comme si de rien n'était". Simone Thery (Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  » - Editions hier et aujourd'hui )

 

Témoignage de Camille Samson ( Héroïnes d'hier et d'aujourd'hui - Une vie, un exemple, Danielle Casanova - Edition l' Union des Femmes Françaises ) :

- De sa fenêtre elle diffusait les nouvelles comme le ferait un journal parlé :

Simone Thery témoigne (Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  » - Editions hier et aujourd'hui )

" Et pourtant recluse derrière ses barreaux, Danielle trouvait encore le moyen d'être l'âme de la prison! Il y a même des gens qui ne savaient pas qui était Danielle et qui disent encore maintenant : "Il y avait entre autres à la Santé une certaine Marcelle qui était vraiment extraordinaire!"."

Danielle Casanova prison de la Santé

Danielle Casanova prison de la Santé

 

Danielle à Romainville

 

- Elle fut rédacteur en chef d'un journal clandestin "Le patriote" écrit et recopié à la main.

 « Le matin et le soir nous attendions avec impatience que le soldat vienne ouvrir les portes pour pouvoir aller discuter des événements avec elle. Elle s'interessait aussi à tous ce qui se passait autour de nous. (…) Son influence morale s'exerçait non seulement sur les communistes, mais sur toutes les détenues : que pense Danielle du débarquement en Afrique ? Que dit-elle des événements de Russie ? »  (…) « Elle nous montrait toutes les raisons qu'il y avait d'être sures de la défaite du fascisme hitlérien » raconte Marie Elisa en se remémorant les propos tenus par Danielle au Fort de Romainville lors d'une conférence clandestine sur la situation politique.

- Elle organisa des spectacles dans la cour du Fort :

Danielle s'efforce de distraire prisonniers et prisonnières. Des fenêtres des baraques, du côté hommes comme du côté femmes, on peut très bien voir ce qui se passe dans la cour et entendre. Simone Thery raconte :

Danielle Casanova joue Jeanne d'Arc

 Noelle Vincencini raconte: "Danielle a sauvé  Marcelle Mischea, en entraînant ses compagnes de captivité dans un sitting, avec refus des 231 femmes de monter dans les cars si cette jeune femme enceinte était également embarquée. Marcelle n'est donc pas partie dans le convoi du 24 janvier pour Auschwitz". Et Noelle poursuit : "Elle a accouchée en prison et a été par la suite déportée à Ravensbruk comme moi-même"

 

Témoignage de Marie-Elisa Norman ( Héroïnes d'hier et d'aujourd'hui - Une vie, un exemple, Danielle Casanova - Edition l' Union des Femmes Françaises ) :

 

A  Auschwitz II Birkeneau,

Danielle  rejoignit le réseau clandestin de la résistance

 

 

C'est à son initiative que les 230 femmes sont entrées dans le camp d'Auschwitz en chantant la Marseillaise. Les SS ont été tellement surpris d'une chose aussi inimaginable dans ce camp de la mort qu'ils n'ont pas réagi.

Simone Thery témoigne ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »

- Editions hier et aujourd'hui ) :

« Soudain notre respiration s'arrête, nos poings se serrent, nos yeux brillent. Puissament au milieu de notre camp de mort s’élève la Marseillaise . Doucement nos sens se réveillent . Nous voulons mieux voir, mieux entendre. Nous ouvrons la fenêtre. Pour la première fois depuis longtemps nous respirons profondément. Parmi les 300 détenues était Danielle Casanova, leader de la jeunesse française.(…) Récit de Manca Svalbova ( témoignage public à Prague en 1946 ) 

 

Très vite Danielle s’intégra dans le réseau clandestin de la résistance.

Le hasard du premier jour a donné à Danielle un avantage énorme: elle a presque immédiatement pu établir le contact avec l'organisation clandestine. Par la détenue slovaque Malhova, qui servait d'interprète à la Lageralteste (doyenne du camp, c'est-à-dire chargée de la direction de l'administration internée), la communiste allemande Gerda Schneider, elle trouve la filière internationale de la Résistance dirigée par des communistes dont certains connaissent le rôle éminent que Danielle a joué dans la France de l'avant-guerre.

Elle obtient ainsi des informations sur le camp, sur le déroulement de la guerre.

Elle contribue à faire connaître à l'extérieur la vérité sur le sort des détenus. Dès fin avril, début mai 1943, des tracts dénonçant l'horreur d'Auschwitz circulent en France : C'est grâce aux contacts qu'elle a pris avec la résistance internationale dans le camp, que par un Polonais évadé, on a pu parler à la Radio de Londres et à la Radio de Moscou de l'enfer d'Auschwitz". Manca Svalbova ( témoignage public à Prague en 1946 ).

 

 

Les Blocks 25 et 26 :

 

 

Birkenau

La cour de l'infamie où s'entassaient mortes et vivantes avant le départ pour la chambre à gaz. A gauche, le block 25 (le Revier); à droite le Block 26  des 31000

 

Le « revier », l’infirmerie n’était en fait qu’un mouroir où les Nazis ne nourrissaient même plus les déportées mourantes. Chaque jour, des centaines femmes mouraient, couchées dans la neige, blessées ou malades. Elles n’attendaient plus que de mourir en espérant plus rien .

Le Revier- Block 25- était dirigé par un SS nommé Tauber, dont la cruauté était redoutée de tous. Plusieurs fois par jour, il s'enfermait dans le Block, frappait à tour de bras celles qui l'entouraient et excitait son chien qui se jetait sur les femmes ensanglantées et les déchirait.

Cinq cents détenues, en ce mois d'avril, mouraient chaque jour. Sur les quarante-neuf qui survécurent au convoi, il n'y en eut que trois à avoir échappé au typhus. Le typhus était la terreur des SS. Ils fuyaient les détenus atteints et n'avaient qu'un but : les envoyer au crématoire le plus rapidement possible, souvent après passage à la chambre à gaz.

 

Danielle va tirer profit de sa place de dentiste pour soigner et soutenir ses compagnes

Une Aufseherinen «surveillantes ss » avait demandé s'il y avait une dentiste dans le groupe des Françaises. Après quelques hésitations, Danielle avait levé la main. On l'avait tout de suite emmenée. Sans passer par la désinfection, elle s'était vu tatouer le matricule 31655 sur son bras gauche et, immédiatement, on l'avait conduite, vêtue d'une tenue rayée propre, dans l'enceinte du Revier, l'infirmerie, où se trouvait une baraque réservée aux soins dentaires. Cette baraque était divisée en trois pièces:

une salle d'attente
- une chambre meublée de trois lits (pour la dentiste et ses deux assistantes)
- le cabinet proprement dit

Les visites quotidiennes de Danielle dans les Block 25 et 26.                 

Charlotte Delbo note dans son livre sur le convoi du 24 janvier : « Danielle est reconnue presque tout de suite par les communistes allemands qui, selon la tactique adoptée dès le début du système concentrationnaire, occupent des postes dans l’administration du camp, jouissent d’une certaine marge d’initiative. Sa place offre à Danielle des possibilités dont elle tire profit : par les kapos des différents commandos, par celle qui est chargée de l’administration du Revier, elle cherche à placer dans des conditions moins atroces les camarades de son convoi. Elle réussit à faire admettre comme médecin, tout au début, Maï Politzer, puis comme infirmières une douzaine d’entre nous, comme couturières Alida Delasalle et Marilou Colombain. » Charlotte rajoute : « Souvent le soir, après l’appel, elle vient nous voir au Block 26 et distribue à tour de rôle ce qu’elle a pu se procurer par ses relations : du pain, un lainage, quelques cachets de charbon pour les dysentériques, trop peu, mais c’est sans prix. »

 

Les camarades de Danielle sont parquées dans le Block 26 (Block - Baraque). Elle s'y rend chaque soir, console les mourantes, soigne les malades, donne des nouvelles, encourage tout le monde. Les déportées couchent sur des châlits à trois étages, serrées comme des sardines, souvent sans même une paillasse.

De la fenêtre du block 26,  Danielle et ses compagnes d’infortune avaient vue sur la cour de l’infamie :
«  Le carreau grillagé donne sur la cour du block 25, une cour fermée de murs. Il y a une porte qui ouvre sur le camp, mais si cette porte s’ouvre quand vous passez, vite, vous courez, vous vous sauvez, vous ne cherchez à voir ni la porte ni ce qu’il peut y avoir derrière. Vous vous enfuyez. Nous, par le carreau, nous pouvons voir. Nous ne tournons jamais la tête par ce côté. » Charlotte Delbo Auschwitz et après, tome 1, Aucun de nous ne reviendra, ed. Minuit

 

« Quand j’ai eu le typhus, j’ai eu quelques piqûres que Danielle avait pu subtiliser aux allemands. Un soir Jeannette, la belge, vient pour me faire une piqûre, je lui dis non, non car j’avais entendu que l’on pratiquait des piqûres au revier pour accélérer la mort. C’est Danielle qui m’envoie a-t-elle dit, et il a fallu qu’elle me donne une gifle pour que je me taise car je risquais d’attirer l’attention et de la compromettre. Deux jours après, Danielle est venue me rassurer ». Hélène Bolleau - 71 ème anniversaire du départ de Romainville

 

Pour toute nourriture, les déportées reçoivent une soupe d'orties, un morceau de pain gluant et noir. A trois heures et demi, dans la nuit noire, elles sont jetées hors de leurs lits à coups de matraques par des Stubeniilteste (chefs de chambrée) féroces. Après une infecte tisane, c'est l'appel  dont nulle n'est dispensée, en présence des Aufseherinen qui frappent sauvagement.

 

Simone Thery témoigne ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »

- Editions hier et aujourd'hui )

Birkenau Block 25 Revier

 Manca Svalbova ( témoignage public à Prague en 1946 )

"Les barbelés étaient blancs de givre et murmuraient leur musique électrique. Un nombre considérable d'Aufseherinen, de Kapos, de chefs et de sous-chefs de tous ordres s'agitaient, poussant des milliers de femmes vers les champs enneigés. Les SS hommes, avec leurs chiens, étaient de la partie. Des femmes qui pouvaient à peine marcher et qu'on avait arrachées à moitié nues à leurs grabats, des corps gonflés, recroquevillés, à demi-vêtus de chiffons innommables, les yeux déments, des plaies suppurentes aux mollets, aux pieds, les lèvres endeuillées, une foule dantesque et frénétique passait les portes. Elle allait rester toute la journée dans les champs marécageux et glacés, sans manger ni boire.

A la tombée de la nuit, ce fut le retour. Danielle, par une fenêtre du Revier où elle avait rejoint Manca, regardait, sans dire un mot. La foule maintenant refluait. Les matraques matraquaient. Les SS hurlaient leurs « los! los! vorwarts! schneller ! » Presque sous les yeux des deux médecins, quelque chose qui avait été une femme rampait dans la neige. Une SS donna un coup de pied à ce déchet, partit, puis s'arrêta, revint en arrière et posa sa botte luisante sur le cou de la détenue. Elle la regardait, attendant. Un râle sortit de la gorge écrasée de sa victime. La SS éclata de rire, fit claquer son fouet et poursuivit sa route.

Toutes celles qui n'en pouvaient plus, qui tombaient, se relevaient et retombaient, titubaient, se traînaient furent rassemblées au Block 25. Les autres se tenaient au garde-à- vous sous la lumière crue des projecteurs. Certaines, qui avaient résisté jusque-là, s'effondraient. On les chassait vers le Block 25.

Un ordre: le Ceneralappel (auquel seul le personnel du Revier avait échappé) était terminé. Alors commença la dernière «sélection». Les prisonnières en sabots pour la plupart, durent regagner leurs Blocks au pas de course, en sautant par- dessus un fossé. De chaque côté de la porte d'accès, des Aufseherinen, matraques à la main, les guettent. Celles qui peuvent bondir et éviter les coups sont sauvées. Celles qui butent, hésitent, tombent, ne peuvent sauter, retournent en arrière sont, de toute façon, bonnes pour la chambre à gaz.

Nous regardions par la fenêtre cet horrible défilé. Nous tremblions pour chacune de nos camarades. Va-t-elle sauter ? Le sang coulait aux lèvres de celles qu'atteignait une matraque visant la tête. Certaines essayaient de se défendre dans de véritables accès de folie. Le lendemain matin, celles qui avaient été parquées par centaines au Block 25 partirent en camions pour la chambre à gaz. Elles étaient nues. Les mortes de la nuit voyagèrent avec elles".

 

Marie-Claude Vaillant-Couturier; témoignage à Nuremberg" : Durant tout le travail, les SS hommes et femmes qui nous surveillaient nous battaient à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m'est même arrivée de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS Tauber excitait son chien contre elle et ricanait à ce spectacle. (…)  Il y a eu le 5 février ce que l'on appelait un appel général. A 3 heures et demie du matin tout le camp a été réveillé et envoyé dans la plaine, alors que d'habitude l'appel se faisait à 3 heures et demie, mais à l'intérieur du camp. Nous sommes restées, dans cette plaine, devant le camp, jusqu'à 5 heures du soir, sous la neige, sans recevoir de nourriture, puis, lorsque le signal a été donné, nous devions passer la porte une à une, et l'on donnait un coup de gourdin dans le dos, à chaque détenue, en passant, pour la faire courir. Celle qui ne pouvait pas courir, parce qu'elle était trop vieille ou trop malade, était happée par un crochet et conduite au bloc 25, le bloc d'attente pour les gaz. Ce jour-là, dix Françaises dans notre transport ont été happées ainsi et conduites au bloc 25. Lorsque toutes les détenues furent rentrées dans le camp, une colonne, dont je faisais partie, a été formée pour aller relever dans la plaine les mortes qui jonchaient le sol comme sur un champ de bataille. Nous avons transporté dans la cour du bloc 25 les mortes et les mourantes, sans faire de distinction; elles sont restées entassées ainsi.

Ce bloc 25 était l'antichambre de la chambre à gaz . On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c'était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre.(...)

Un jour, une de nos camarades, Annette Epaux, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, dans toutes les langues : "A boire, à boire, de l'eau". Elle est rentrée dans notre bloc chercher un peu de tisane mais, au moment où elle passait par le grillage de la fenêtre, la Aufseherin l'a vue, l'a prise par le collet et l'a jetée au bloc 25. Toute ma vie, je me souviendrai d'Annette Epaux. deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait vers la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line Porcher, et au moment où le camion s'est ébranlé, elle nous a crié : "Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez en France". Puis elles se sont mises à chanter la Marseillaise.

Dans le bloc 25, dans la cour, on voyait les rats, gros comme des chats, courir et ronger les cadavres et même s'attaquer aux mourantes, qui n'avaient plus la force de s'en débarrasser ».

Simone Thery témoigne ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »

- Editions hier et aujourd'hui )

Birkenau Block 25 Revier

Manca Svalbova ( témoignage public à Prague en 1946 ) "Les blocks du Revier et du camp, Danielle les visitait le soir, quand les colonnes rentraient mais aussi pendant la pause de midi. Partout elle versait à pleines brassées, la force, la confiance, la foi, la camaraderie. « Danielle, je te confie mon fils ! Danielle, pense à aller voir mon mari. Danielle! Danielle! Danielle, c’est la force, la volonté, le courage. Si une seule doit revenir, Danielle reviendra. Danielle racontera. Danielle luttera jusqu’à sa mort…
Danielle….!!. A chaque transport vers le four, chaque Française crie son adieu, son message. Ce ‘’Danielle’’, ce n’était pas un appel ni une supplication. C’était la dernière poignée de main d’une compagne qui tombait. (..) Danielle était à coté de moi, rien ne changea dans son visage. Seul autour de sa bouche, se dessina un trait dur que je ne connaissais pas. Mais ses yeux, ses yeux dans lesquels luisait et chauffait le soleil de France étaient partis avec nos camarades. Et puis quand la nuit rouge et sanglante se fut allumée, quand les flammes eurent lancé vers le ciel leur affreuse lueur, les yeux de Danielle revinrent après un long détour. Ils avaient vécu toutes les souffrances et souffert les milliers de morts. Ils revenaient plus durs, plus graves et résolus. De nouveau ils accompagnèrent quotidiennement celles d’entre nous qui survivaient.

Chaque jour de nouvelles victimes tombaient. Danielle ne se rendit jamais. Elle se jeta dans la lutte pour la sauvegarde des malades. Elle s’y jetait avec une volonté inouïe, méprisant fatigue et danger. Elle entrait dans les blocks pleins de vermine et se penchait sur le délire des typhiques et des moribonds. Danielle Casanova devint plus rude, plus silencieuse, plus ferme encore. Ses yeux semblaient désormais scruter le lointain, comme s’ils voyaient seulement le but à atteindre.

Je veux seulement dire que grâce à son attitude pendant les trois mois qu'elle a vécu à Auschwitz, Danielle jouissait d'un extraordinaire prestige non seulement parmi les Françaises qui étaient loin d'être toutes Corses mais aussi parmi les détenues des autres nationalités. Dans ce camp où la mort la plus atroce était partout, où les chambres à gaz fonctionnaient sans arrêt, Danielle n'a jamais cessé de lutter". 

Simone Thery témoigne ( Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »

- Editions hier et aujourd'hui ) :

-  Danielle se rend chaque jour dans les  Blocks pour soigner ses compagnes, les entourer face à la mort

Danielle leur donne de l'espoir en leur communicant des nouvelles du Front :

Début avril Danielle doit s'aliter

 

Témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier :

Danielle Casanova à AuschwitzDanielle Casanova à Auschwitz

 

Le typhus (source site Curagiu)

"Cette terrible maladie dans les conditions des camps nazis conduisait généralement à la mort. Le typhus était la terreur des SS. Ils fuyaient les détenus atteints et n'avaient qu'un but: les envoyer au crématoire le plus rapidement possible, souvent après passage à la chambre à gaz.

Les malades n'ont aucun droit particulier. On les laissait aussi bien au dernier étage d'un châlit, sans médicament, sans soins appropriés. Grâce à la solidarité qu'elles se témoignaient les une envers les autres, grâce surtout à Danielle qui leur apportait quelques suppléments de nourriture, certaines, qui avaient le cœur solide, s'en tiraient. La majorité mourait sans qu'on y prenne garde. Les mortes restaient souvent couchées durant plusieurs heures auprès des vivantes. Quand une « Stubenlilteste » s'en apercevait, elle les jetait hors du lit et les balançait devant la porte. La «colonne des mortes» venait les ramasser sur de toutes petites «träge» des brancards d'où pendaient têtes et jambes. Les porteuses de mortes circulaient ainsi du matin au soir entre les Blocks et la morgue où s'entassaient les cadavres destinés à ce que les SS cyniques appelaient le « Himmelskommando» le Kommando du ciel, c'est-à-dire le crématoire. Durant cet hiver-là, la mortalité fut telle que les « Träge » furent remplacés par des charriots que des détenues attelées tiraient avec peine.

Celles qui résistaient au typhus déliraient pendant quinze jours, souffrant d'affreuses douleurs diffuses dans tout le corps. Elles sortaient moulues et terriblement affaiblies de l'épreuve".

 

 

Le 9 mai 1943, Danielle meurt du typhus, victime des visites quotidiennes qu’elle rendait aux contagieuses.

 

 

Ses camarades de souffrance témoignent :

 Charlotte Delbo :

« La maladie semble avoir été d'autant plus violente que la malade était moins affaiblie. Dans un verre, sur un tabouret recouvert d'un napperon, à la tête de son lit, une grappe de lilas apportée par quelqu'un du jardinage.

Des camarades ont porté son corps sur la civière et l'ont déposé près de la morgue, le petit hangar où s'entassaient les cadavres, derrière le Block 25. Elle reposait, belle parce qu'elle n'était pas maigre, le visage encadré de tous ses cheveux noirs, le col d'une chemise de nuit blanche fermé sur son cou, les mains sur le drap blanc, deux petites branches de feuillage près de ses mains. Le seul beau cadavre qu'on ait vu à Birkenau. »

 

Marie-Claude Vaillant Couturier  (Héroïnes d'hier et d'aujourd'hui - Une vie, un exemple -Danielle Casanova - Editions de l'Union des Femmes Françaises)

« Danielle a la fièvre depuis deux jours. Elle ne veut pas se coucher. Elle sait avec quelle impatience ses camarades l'attendent le soir. Une phrase affectueuse en Français alors que tout le long du jour on est assourdi par des vociférations en allemand cela donne du courage, un peu d'espoir. C'est pour cela qu'elle domine sa propre fatigue, son sourire c'est un peu la France.

Danielle n'a pu se lever ce matin. Elle a 41 de fièvre.On craint le typhus, j'ai été la voir. La fièvre est tombée le 4ème jour, c'est très mauvais signe. Je lui ai appris la mort de Camille Champion : Elle m'a dit : Elles meurent toutes, mon coeur est un cimetière. Tu diras aux amis que moi aussi je suis morte pour la France, comme Politzer et Cadras »

 

Antonina Nikiforova :

« C’est en portant à boire à nos camarades malades que Danielle Casanova fut atteinte par le typhus (...). Elle avait tant de courage qu’elle en donnait aux plus désespérées. Elle gardait toujours sa bonne humeur et sa confiance en l’avenir. »

 

Charlotte Delbo :

«Dans un verre, sur un tabouret recouvert d’un napperon, à la tête de son lit, une grappe de lilas apportée par quelqu' un du jardinage (..) Des camarades ont porté son corps sur la civière et l’ont déposé près de la morgue, le petit hangar où s’entassaient les cadavres, derrière le block 25. Elle reposait belle (...) le visage encadré par ses cheveux noirs, (...) deux petites branches de feuillage près de ses mains »

 

 Manca Svalbova ( témoignage public à Prague en 1946 ):

« Puis un jour de printemps Danielle tomba à son tour. (...) le délire l’emmenait au loin, près de sa mère qu’elle embrassait, près de ses camarades dont elle serrait les mains. Puis ses grands yeux se perdirent, quelque part dans les profondeurs, et le voile noir recouvrit ses paupières.

L’obscurité descendait sur le camp lorsque nous l’avons portée sur son dernier chemin. Ses compagnes étaient venues en grand nombre pour prendre congé d’elle. Les bouches restèrent muettes et les yeux secs, mais les cœurs saignaient, révoltés. La nuit s’approcha. Nous restions inertes, debout. Dans le silence du camp, le bruit des moteurs devint un grand cri déchirant. L’obscurité sanglante nous saisit la main et le néant haletant nous enveloppa. (...)

Danielle tombait sans avoir jamais cessé de croire dans la vie nouvelle, luttant jusqu’à la dernière minute. Il nous restait à poursuivre la lutte comme elle, dans le même esprit qu’elle. Telle fut notre pensée, Danielle, quand nous avons serré ta main morte »

Et Simone Thery (Extrait de «  Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova  »- Editions hier et aujourd'hui)

 Danielle Casanova meurt à Birkenau

 

Retour des cendres de Birkenau

A l’ouverture des camps, la mère de Danielle Casanova, Hyacinthe Périni, conduisit une délégation à Birkenau pour y recueillir des cendres de morts qui reposent depuis lors dans une stèle au tombeau familial des Périni à Vistale.

Tous les 9 mai, à l'invitation de Madame Perini, des délégations de déportés survivants venaient se recueillir devant cette stèle.

Au second plan à gauche, le colonnel F.H Manhes, déporté à Buchenwald, représentant du général de Gaulle en zone occupée (voir photo ci-dessus)
 

Bouleversée après ce qu'elle avait vu à Auschwitz, Madame Périni écrivit un discours pour alerter l'opinion contre les risques que ferait courir à l'Europe le projet d'une communauté européenne de défense (CED)

En juin 2007, le Comité National de liaison des anciens déportés, internés, résistants politiques a déposé une gerbe devant la stèle de “Danielle Casanova” au hameau de Vistale.

Les déportés ont chanté le « Chant des Partisans » et le « Chant des Marais », (en Allemand, Börgermoorlied, « chant de Börgermoor »).

Les paroles de cette chanson ont été écrites en 1933 par trois déportés revenus du camp de concentration de Börgermoor en Basse Saxe.: Johann Esser, mineur, Wolfgang Langhoff, metteur en scène et Rudi Goguel, employé de commerce qui a composé la musique. Le « Chant des marais » est entonné lors de chaque cérémonie de la déportation.

 

Loin vers l'infini s'étendent
De grands prés marécageux
Et là-bas nul oiseau ne chante
Sur les arbres secs et creux

Refrain :
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.

Dans ce camp morne et sauvage
Entouré de murs de fer
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d'un grand désert.

Bruit de chaîne et bruit des armes
Sentinelles jours et nuits
Et du sang, des cris, des larmes
La mort pour celui qui fuit.

Mais un jour dans notre vie
Le printemps refleurira.
Liberté, liberté chérie
Je dirai : « Tu es à moi. »

Dernier refrain :
Ô terre enfin libre
Où nous pourrons revivre,
Aimer, aimer.

Aujourd'hui Laurent est encore tout près de Danielle, enterré juste derrière le muret à droite de cette image. ce muret entoure le cimetière de la famille de Vincentella-Danielle. Casanova née Perini. Claudine Chomat, sa deuxième épouse, n'y était  pas opposée elle qui avait été si intime avec Danielle sa compagne de lutte,  elle partageait - et même cultivait - son souvenir avec Laurent.

« Combien de fois Laurent s'est-il   rendu auprès de la stèle de Danielle Casanova sa première épouse. Chaque fois qu'il allait à Vistale village de vacances de Vincentella en Corse. Tous les jours et plusieurs fois par jour inlassablement face à un paysage magnifique !

C'était pour lui et pour nous tous un lieu de promenade un lieu calme  et beau, en pleine nature, dont la présence de la stèle de Danielle faisait tout naturellement partie.  En continuant le chemin se trouvait une source où allions chaque jour remplir notre cruche de terre d'une eau fraîche et limpide agréable à boire aux repas.

Nous dormions chez la maman de Danielle, Madame Perini.

Et puis Laurent a eu le prix Lénine de la Paix  qu'il a reçu au nom de l''esprit d'ouverture qui lui était propre.

 L'argent a servi à acheter une petite maison tout près de chez les Perini à Vistale". Claudine Chomat – 2eme épouse de Laurent Casanova