67ème anniversaire de sa mort

Commémoration devant la maison de Danielle à Ajaccio le 10 Mai 2010

 

Allocution d’Isaline Amalric, nièce de Danielle Casanova

Monsieur le directeur de cabinet, représentant de la préfecture, Monsieur le président du conseil général, Monsieur le président de l'Assemblée de Corse, Monsieur le Maire d'Ajaccio, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires et des associations d'anciens combattants, Messieurs les porte drapeaux, Mesdames, Messieurs; nous sommes tous réunis ici aujourd'hui pour célébrer la mémoire de Danielle Casanova, morte en déportation il y a 67ans.

« Ils ont voulu l'anéantir, ils l'ont rendue immortelle! » c'est ainsi que s'ouvrit en 1945 une cérémonie commémorant la mort de Danielle. Louis Aragon y lut un extrait de son poème Musée Grévin, écrit pour honorer les victimes de la déportation mais également pour honorer et accueillir les survivants qui reviendraient de l'enfer.
Immortelle, Danielle l'a été pendant des dizaines d'années suivant la libération. Elle représentait toutes les autres femmes qui, avec courage et abnégation, se sont surpassées en surmontant leur peur pour sauver leur pays et leurs camarades. Danielle Casanova fut donc érigée, dès les mois qui suivirent sa mort, en icône majeure de la résistance. Elle reste une figure exceptionnelle parmi les nombreux héros corses, à l'image de Marie de Peretti morte en déportation à Ravensbruk.

Tous les 10 mai des cérémonies commémoratives avaient lieu dans de nombreuses villes françaises. Des centaines de rues, avenues, boulevards, crèches et collèges, maisons de santé portent son nom. Un Ferry portant son nom a été mis en service en 1989 pour assurer la liaison Corse Continent.

Cependant dans les années 80 une longue plage de silence a suivi, reléguant aux oubliettes de l'histoire, une des héroïnes françaises les plus honorables. Le rejet de l'idéologie communiste y fut pour beaucoup. Or nous savons bien que les polémiques politiques ne peuvent occulter sans dommage les hauts faits de l'Histoire. Car le devoir de mémoire se situe bien au delà de tout esprit politique partisan.

Il reste heureusement aujourd'hui quelques grands témoins de ces jours sombres : quelques compagnons de la libération, et des associations de déportés qui s'emploient sans relâche à entretenir la mémoire. Il en est de même des associations d'anciens combattants comme l'ANACR, (et je salue ici la présence de Jacqueline Roblewski pour son indéfectible dynamisme). Il en est de même également des Amis de la résistance qui perpétueront ce devoir de mémoire lorsque disparaitront les derniers témoins.

En 2009, Année commémorative du centenaire de sa naissance, Danielle Casanova a été élevée au rang d'héroïne nationale. Un bref aperçu de sa courte vie en témoigne.

Jusqu’à sa mort, elle n’a jamais cessé de militer, Elle fut la première à prôner l'épanouissement des femmes. Les femmes de sa génération s'en souviennent : Elle avait du rôle de la femme une conception très moderne, assez inhabituelle pour l’époque. En Décembre 1936, elle proclame que « la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social ». Pour honorer ce rôle précurseur, un timbre à son effigie sera émis le 8 mars 1983 à l'occasion de la première journée internationale des femmes.

En 1937, lors du congrès international de la jeunesse à New York, elle affirme sa volonté de défendre la paix et la liberté dans l'union la plus large de toutes les forces opposées à la guerre et au fascisme. Son action s'étend désormais au plan international. Elle organise, avec l'Union des jeunes filles de France l'aide aux enfants de la guerre d'Espagne, Enfin, dés septembre 1939, elle entre dans la clandestinité pour mener le combat contre l’occupant nazi. Elle contribue à la presse clandestine, notamment pour « la Pensée libre » et fonde « la Voix des femmes ».

À partir d'octobre 1940 elle participe à la mise en place des Comités féminins en région parisienne et s’occupe des familles des prisonniers de guerre. Elle organise dans Paris de nombreuses manifestations contre l'occupant, notamment celles des 8 et 11 novembre 1940 suscitées par l'arrestation du professeur Paul Langevin, puis celle du 14 juillet 1941, ou l’on vit avec stupéfaction un immense drapeau tricolore sortir du métro tandis que résonnait la Marseillaise.

Elle fut, enfin, avec Albert Ouzoulias, à l'origine des “Bataillons de la jeunesse”, ces groupes armés qui donneront en 1941 le signal de la lutte contre l'occupant en tuant un officier allemand dans les couloirs du métro.

Filée depuis longtemps par la police française, Danielle est arrêtée le 15 février 1942, elle sera interrogée au dépôt de la préfecture jusqu'au 23 mars, emprisonnée ensuite à la Santé et enfin livrée à la Gestapo le 9 juin. Gardée comme otage politique au Fort de Romainville à partir du 24 aout 42, elle est déportée le 24 janvier 43 à Auschwitz ou elle mourra du typhus le 9 mai.

Dès son arrestation et jusqu'à sa mort, Danielle Casanova s'illustra par son esprit de solidarité et de résistance. Au Fort de Romainville, elle met en place une organisation clandestine disposant d’un journal, écrit et recopié à la main: « le Patriote de Romainville ».   Elle parvient à faire parvenir des lettres à sa mère depuis le dépôt de la préfecture puis du Fort de Romainville. Elles sont toutes empreintes d'un extraordinaire courage, d'un élan vital irrépressible, d'une confiance lucide en l'avenir, comme en témoignent ces quelques brefs extraits :
- Si je n’ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de Corse, ni celui de l’Ile-de-France, j’ai du soleil plein le cœur; je suis calme et solide.
- A l’heure actuelle, c’est une fierté que d’être emprisonnée.
-Nous ne sommes jamais tristes. La souffrance n'attriste pas elle donne des forces.
-Si le ventre est creux, j'ai toujours bon pied, bon œil. Vois-tu, ils peuvent nous tuer, mais de notre vivant, ils n'arriveront jamais à nous ravir la flamme qui réchauffe nos cœurs.
-L'air est léger et l'espoir habite mon cœur ;  en fait, il y a élu domicile depuis toujours. Je connais la souffrance mais pas la tristesse, et je trouve la vie si grande et si belle.
-Nous ne baisserons jamais la tête ; nous ne vivons que pour la lutte. Les temps que nous vivons sont grandioses. Je vous dis au revoir ; j’embrasse tous ceux que j’aime.  N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera.

Ce courage et cette volonté de résister et de garder dignité humaine ne la quitteront pas en arrivant à Auschwitz. Après l'angoisse du voyage en train , c'est l'horreur pour le convoi des femmes qui découvrent le camp de concentration, les cris des SS et les aboiements des chiens. Où sont-elles donc ? Elles ont peur. Danielle qui chantait faux souffle alors à une compagne : « la Marseillaise! ». Et les françaises passent la porte du camp, en chantant la marseillaise à tue-tête sous l’œil médusé des SS.

Elle contribue à faire connaitre à l'extérieur la vérité sur le sort des détenus. Dés fin avril, début mai 1943, des tracts dénonçant l'horreur d'Auschwitz circulent en France. Elle se rend chaque soir dans le block 26 où sont parquées ses camarades, console les mourantes, vole des médicaments et soigne les malades.

Le 9 mai elle meurt du typhus, victime des visites quotidiennes qu'elle rendait aux contagieuses.

Selon son amie tchèque, Manca Svalbova, : « Danielle se jeta dans la lutte pour la sauvegarde des malades. Elle s’y jetait avec une volonté inouïe, méprisant fatigue et danger. Elle entrait dans les blocks pleins de vermine et se penchait sur le délire des typhiques et des moribonds. »

Danielle fut comme tous les autres résistants, une combattante courageuse, à l'esprit de sacrifice et à la solidarité sans faille. Ne les oublions pas ! N'oublions pas nos héros!

Gardons en mémoire ces mots de Geneviève de Gaulle :
« Il en fallait de la richesse humaine pour être résistant. Il y fallait du vrai courage, de la vraie générosité. Il ne fallait pas être médiocre. Il fallait avoir un but dans la vie. Nous n’acceptions pas la défaite, la livraison honteuse de la France à l’ennemi et Danielle Casanova, comme nous, savait que nous n’avions pas affaire à un quelconque envahisseur, comme on en avait vu en d’autres circonstances historiques. Elle savait que la doctrine nazie était une menace pour l’humanité toute entière, pour le destin de la France et d’autres pays. S’il n’y avait eu que des gens comme les policiers qui ont livré Danielle aux allemands nous aurions aujourd’hui encore honte de la France …
Il y eut, heureusement, l’éclatante réponse de la résistance.
Des destins comme celui de Danielle Casanova nous réconcilient avec notre histoire. »

Quant à moi, si j'ai accepté de prendre la parole aujourd'hui, c'est en raison de ma solide conviction qu'il est nécessaire de respecter le devoir de mémoire. Les jeunes générations de Corse doivent savoir que Danielle Casanova n'est pas qu'un bateau.