Analyse de la spécificité de la résistance en Corse
La Corse, premier morceau libéré de la France
L'hommage du général de Gaulle
Les Corses sous Vichy et l'occupation italienne ont l'honneur d'avoir compté une forte proportion de patriotes résistants prêts à mourir pour libérer leur ile et peuvent être fiers de ne pas avoir fait déporter de juifs.
« La Corse a la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France » Général de Gaulle le 8 octobre 1943, place du Diamant à Ajaccio
« Cet honneur, cette précocité, la Corse les doit (…) surtout à la détermination de la Résistance insulaire, qui, soutenue par la grande majorité de la population, a choisi seule, le 9 septembre, de déclencher une insurrection armée, avant d'être secourue par les troupes de la France libre venues d'Alger » Charles Giol – Supplément du Nouvel Observateur n° 84 nov-déc-2013 : « Résistants et collabos »
"La « fortune » de la Corse a tenu à trois causes principales : l’unité de la Résistance intérieure, réalisée depuis juillet 1943; la débâcle politique et militaire italienne ; la géographie : les reliefs insulaires font de la Corse une forteresse naturelle. Mais sans l’arrivée de troupes françaises prélevées en Afrique du Nord, ces trois atouts n’auraient pas suffi.
L’« honneur » des Corses est d’avoir sans tarder saisi les opportunités offertes par l’armistice de Cassibile, assumé pendant près d’une semaine un combat inégal même avec l’appoint italien contre les forces allemandes, et prouvé que la Résistance intérieure française pouvait jouer un rôle décisif dans la libération du territoire national." source Fondation de la France libre
France3 : Web documentaire Juillet 2014 / "désobéissance, le plus sage des devoirs"
http://lesresistances.france3.fr/documentaire-corse
170 minutes de courts films (archives et interviews récentes)
Analyse politique
Auteur Isaline Amalric Choury
- Le Front national de libération de la France secteur corse a su regrouper tous les patriotes et se doter d'une organisation parfaitement structurée
Alors que dans les autres département les mouvements de résistance sont divisés, en Corse le Front national, créé par les communistes, a su regrouper tous les patriotes quelle que soit leur appartenance politique. A l'exception de « La Légion Corse », tous les mouvements de la résistance ont rallié le Front national de lutte pour la libération de la France.
Le mouvement « Combat » (fruit de la fusion en décembre 41 du Mouvement de Libération Nationale d'Henry Frenay et de « Liberté ») nait fin 41 à Ajaccio, Corte et Bastia. Charles Giudicelli, est responsable de la zone sud, et pour la zone nord, Jean Canavelli (Corte), et Dominique Simonpoli (Bastia). Entre mars et juin 43, les adhérents de « Combat » rejoignent le Front national de lutte pour la libération de la France.
Les FFL s'installent en Corse à l'instigation de Fred Scamaroni fin décembre 42 (mission « Sea Urchin en Corse », « Gaston a mangé le saucisson et son ami viendra manger la coppa »). François Giacobi en est le responsable pour la Corse, Lovichi (Propriano), Pidinielli (Sartène), Raimondi (Ajaccio), Joseph Gambotti (Bastia), Marc-Marie Agostini (Corte). Le 28 juillet 43, François Giacobi invite ses adhérents à fusionner avec le Front national de lutte pour la libération de la France à lui faire confiance et à se soumettre à ses directives. A cette date, le Front national corse revendique quelque 8 760 membres.
- Le Front National s'est doté d'une organisation pyraminale remarquable
Ce document, écrit par Maurice Choury (alias Annibal) nous permet d'apprécier comment il a conçu l'organisation du comité d'arrondissement d'Ajaccio : des petits groupes de 4 ou 5 résistants, ne connaissant que leurs camarades et leurs supérieurs, chapeautés par des comités de cantons dépendant de l'autorité de comités d'arrondissement regroupés par le comité départemental.
- La résistance corse a eu un caractère de masse qui a permis de faire face à une occupation très importante
80000 Italiens et 12000 Allemands occupaient la Corse, ce qui représenterait 10 millions d'occupants pour la France métropolitaine.
De son côté le Front national regroupait 11700 hommes armés qui encadraient toute la population de l'île. Les patriotes ont mené une véritable guerilla et ont su créé un climat favorable à l'insurrection. A la libération, le Front national comptait 25000 adhérents.
Ces soldats sans uniforme ont obtenu des résultats parfois plus efficaces que les Etats Majors de l'armée.
- La résistance corse a disposé d'armes et de matériel en provenance d'Alger
Le général Giraud, sans en informer le général de Gaulle a décidé d'aider les patriotes corses. Entre février et juillet 43 le sous marin Casabianca a débarqué armes et munitions près de Piana, à Solenzara et dans les Agriates. Des parachutages ont lieu également dans les maquis : soixante zônes de parachutages ont permis l'envoi de matériel militaires. Les abris de bergers ont servi de dépôts d'armes. Nombreux furent les patriotes qui ont risqué leur vie pour transporter armes et munitions en lieu sûr. Grace à leur courage et à leur efficacité sur 110 tonnes d'armes une seule tonne fut perdue.
Illustrations Lucien Fontanarosa crédit famille Choury
Missions des sous-marins et parachutages. Source : Itinéraires de la Libération de l’île : :
"De l’Afrique du Nord, où les Alliés ont pris pied le 8 novembre 1942, arrive clandestinement en Corse armes, munitions et postes radio. Ces livraisons se font par les sous-marins et leurs missions à partir de la mi-décembre 1942, et par des parachutages à partir du printemps 1943.
- Plage d’Arone : le sous-marin Casablanca débarque des résistants et des armes
La nuit du 5 au 6 février 1943 et la nuit suivante, le sous-marin Casabianca met à terre sur plage de la baie d’Arone, deux membres de la mission Pearl Harbor : le sergent-major Michel Bozzi et le radio Chopitel. Ils débarquent avec 450 mitraillettes et 60 000 cartouches.
- Le premier parachutage d'armes en Corse a lieu aux alentours de Sio, dans la vallée du Valinco, durant la nuit du 16 juin 1943. Huit résistants allument des feux dans la montagne pour guider l'avion et lui donner la direction du vent.
L'avion venu d'Alger largue 13 cylindres contenant trois tonnes d'armes, de munitions et quelques vivres; les résistants cachent les armes dans une grotte avant de les redistribuer.
- Pointe de Curza, plage de Saleccia: livraisons d'armes et de matériel par le Casablanca
La nuit du 2 au 3 juillet et la nuit suivante, débarquement par le sous-marin Casabianca, sur la plage de Saleccia, de Paulin Colonna d’Istria avec 13 tonnes de matériel.
Les 30, 31 juillet et 1er août, débarquement de 20 tonnes de matériel par le sous-marin Casabianca. En récupérant les armes et les munitions débarquées, le 19 août suivant, Dominique Vincetti meurt face à l’ennemi.
parachutages
- Plateau de Prati (1870 m) : en ce lieu, entre le col de Verde et Prunelli di Fium’orbu en août 1943, furent parachutées les armes qui servirent à libérer la Corse des occupants fascistes et nazis. Une plaque de marbre représentant la Corse y a été apposée pour rappeler ce souvenir.
- Capu di Fenu: dernière mission clandestine du sous-marin Casabianca
Dans la nuit du 5 au 6 septembre le sous-marin Casabianca effectue sa dernière mission clandestine.
Mission :
Récupérer Arthur Giovoni, un des responsables de la Résistance, pour le mener à Alger.
Mettre à terre deux membres des Renseignements : le lieutenant Giannesini et un radio.
Débarquer 5 tonnes d’armes anti-tanks en vue de l’affrontement prochain avec l’armée allemande".
Maurice Choury, alias Annibal, prépare les terrains de parachutages
archive Maurice Choury
- Le combat pour la libération de la Corse s'est appuyé sur l'alliance avec l'ex-occupant italien, après l'armistice signé secrètement par les Italiens le 3 septembre 1943 et officialisé le 8.
Convaincu, à partir de la chute de Mussolini en juillet 1943, qu'il est possible de libérer la Corse en amenant les troupes italiennes à un renversement d'alliances, Maurice Choury a contribué à déplacer l’axe de lutte du Front National, jusqu’alors tourné contre les Italiens, vers les hitlériens, et à œuvrer au ralliement des soldats antifascistes italiens, qui constitueront un renfort appréciable lors des combats de la Libération.
"En Corse, dans la clandestinité, des résidents d’origine italienne – souvent refugiés antifascistes –, facilitent les contacts avec certains éléments des forces d’occupation comme le colonel Cagnoni et le général Stivala à Bastia. Des tracts en italien sont diffusés dans les casernes des occupants". source Fondation de la France libre
tract rédigé par Annibal archive Maurice Choury
Cette alliance, engagée avec les soldats italiens anti fascistes, suite aux propositions de Maurice Choury dans sa lettre du 24 aout 1943 adressée aux membres du Comité départemental, a porté ses fruits. Cette campagne de diffusion de tract a eu des résultats positifs : le colonnel Cagnoni a fourni des documents sur le dispositif italo-allemand; 110 pages de précieux renseignements militaires seront ainsi transmis à Alger.
«...celui qu'avec Colonna d'Istria nous appelions l'agent 13- Emile Caporossi- avait informé Choury qu'un colonel de chemises noires, Giani Cagnoni, était prêt à fournir à la résistance le plan complet du dispositif italien en Corse...» Propos d'Arthur Giovoni rapportés par Paul Silvani dans «...Et la Corse fut libérée » .
Extraits de la lettre de Maurice Choury du 25 aout 1943 :
« Des évènements politiques et militaires de la plus haute importance se sont produits récemment. Il convient de les analyser sérieusement et de régler notre attitude en conséquence. Une réunion du Comité départemental devrait être consacrée à cette étude. Si vous la considérez comme impossible pour des raisons matérielles, je vous demande de prendre position sur le contenu de la présente. Sous le coup des premières défaites militaires sérieuses, le bloc hitléro-fasciste s’est désagrégé. Mussolini est tombé. S’agit-il d’un simple changement de gouvernement comme voudraient le faire croire Hitler et Badoglio ? Non,il s’agit de la consommation du divorce jusqu’ici latent entre le fascisme et le peuple italien. Que veut le peuple italien ? La paix et la Liberté. Badoglio et le roi n’expriment pas cette volonté populaire. Ils s’efforcent de faire dévier le cours de la révolution inéluctable.(…) Nous sommes responsables de l’apathie du soldat italien. Nous laissons les Hitlériens libres de s’en servir pour leurs fins. Or il existe au sein de l’armée italienne un courant antifasciste et surtout anti-allemand. Nous devons l’aider à prendre corps et à se développer en le faisant bénéficier de notre expérience de l’organisation.(…) En premier lieu nous devons déplacer l’axe de notre lutte. Jusqu’à maintenant nous ignorions les Allemands et attaquions les Italiens. Je propose que nous prenions pour thème : l’ennemi n° 1 c’est l’hitlérien. Les Italiens qui veulent la Paix et la Liberté doivent se ranger à nos côtés dans la lutte contre l’ennemi commun. Ceux qui ne voudront pas le faire seront considérés comme des fascistes, comme des hitlériens et traités comme tels. Nous devons dorénavant développer notre propagande parmi les Italiens sur ce schéma. Mais nous devons avoir des vues encore plus larges, plus hardies : Nous devons aider de toutes nos forces, sans réticence ni répulsion à la création d'un mouvement militaire « Italia Libera » pour laquelle des conditions objectives existent. Nous devons faire rédiger un manifeste par la direction de ce mouvement. L'aider à l'éditer et le lui faire diffuser. Il gagnera à ses conceptions des régiments entiers et ce fait lui ouvrira des perspectives d'auto-libération. »
Le poids de l’identité régionale :
La Résistance analysée comme le reflet d’une société marquée par des traits traditionnels et une géographie spécifique.
-Les Corses, animés par un double sentiment patriotique corse et français mélés, haïssent les “Lucchesi”
"Pour notre sûreté et pour que nous soyons à jamais Français, ce qui est notre unique voeu, il nous faut un décret de la Nation." Lettre du Comité patriotique de Bastia, lue le 30 novembre 1789, à la tribune de l'Assemblée nationale
« Je préfère de beaucoup la fusion de la Corse avec les autres provinces françaises, à une indépendance proprement dite. Ou bien on nous en priverait, ou bien quelqu'un la vendrait, ou s'en rendrait le tyran » Pascal Paoli en 1790.
« Louons le ciel, libertés et bonnes lois, cela notre pays l'a obtenu avec la France grâce à l'un de nos compatriotes (NDLR : Napoléon). Dans le système présent de la politique européenne nous n'aurions pu jouir de ce bien en formant un Etat » Pascal Paoli lettre à l'Abbé Giovannetti en 1802.
Le 4 décembre 1938 une affiche appelle la population ajaccienne à manifester sur la place du Diamant contre les visées irrédentistes italiennes et pour réaffirmer que la Corse fait partie intégrante de la France.
Source : Archives Jean-Noel Aiqui
Cette manifestation pacifique, qui a réuni de nombreux manifestants, a eu pour pendant, en Haute-Corse, le serment de Bastia, lu le 4 décembre 1938 par Jean Ferracci, le président des anciens combattants de la région bastiaise en réponse aux visées annexionnistes du Duce exprimées par le comte Ciano, le 30 novembre 1938.
« Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes et sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français » http://www.museedelaresistanceenligne.org/media.php?media=3414&expo=74&popin=true#zoom-tab
En janvier 39 (voyage de Daladier en Corse), la presse parisienne met en exergue l’attachement des Corses à la France. La foule n’en finit pas de scander « Daladier ! Daladier ! Vive la Corse française ! »
« Pas de Munich pour la Corse, voilà l’exigence impérieuse des manifestants d’hier. Les travailleurs n’ont pas oublié la photographie des quatre ( Chamberlain, Daladier, Hithler, Mussolini) penchés sur la carte des Monts de Bohème et prêts à placer la Tchecooslovaquie sur le bloc opératoire » Gabriel Péri dans L’Humanité
C'est entre le 11 et le 14 novembre 1942 que débarquent massivement les troupes italiennes d'occupation. Le choc est terrible : depuis le plein rattachement de la Corse à la France en 1789, l'Ile de Beauté n'avait jamais connu d'envahisseur.
Avant le débarquement italien la résistance était une aspiration bien plus qu’une réalité : Selon les propres mots d'Arthur Giovoni, l'un des dirigeants du Front national corse, "Avant ce 11 novembre funeste, de timides tentatives d'organisation avaient bien eu lieu pour créer un front du refus, mais la Résistance était restée une aspiration plus qu'une réalité. Au soir du 11 novembre, elle allait prendre corps. (...) Ce que je sais c’est que les communistes se sont réunis partout dès le 11 novembre 1942 et qu’ils ont ainsi constitué la colonne vertébrale des réseaux » Paul Silvani dans “Et la Corse fut libérée”.
30 novembre 1942 : Appel le 20 novembre 1942 dans un numero spécial de "l'Avant- Garde" à une manifestation contre l'occupant, pour commémorer le décret du 30 novembre1789 portant que l'île de Corse fait partie de l'Empire français.
archive Maurice Choury
-Le Front national a enrolé des patriotes irrités par les difficultés d'approvisionnement dues à l'isolement de l'île et l'aggravation de la situation en raison de l'importance de l'occupation italienne puis allemande
Le poids des dimensions locales dans l’apparition du sentiment résistant au sein de l’opinion : Au moment de l’arrivée des troupes italiennes dans l’île, la situation économique crée des conditions de vie fort difficiles pour les Corses.
Dans son rapport adressé le 18 novembre 1942 aux autorités de Vichy, le Préfet de la Corse, Paul Balley expose cette situation difficile en l’expliquant par : « la présence imprévue de nombreuses troupes (au moins 30 000 hommes (… et par) la suspension provisoire des relations maritimes avec le continent » . Il souligne les difficultés de logement et surtout de ravitaillement : « En raison de l’inexistence des stocks de farine (…) j’ai du réduire de moitié la ration de pain. (…) La corse nourrit avec peine ses 220 000 habitants. Il (lui) est absolument impossible de nourrir , en plus, un corps d’armée Italien.(…) La situation alimentaire du pays va devenir tragique au bout de quelques jours. » Et il conclut : « Si les courriers maritimes conservent quelques régularité, je crois pouvoir répondre du maintien de l’ordre. Dans le cas contraire, la situation risquerait de devenir rapidement dangereuse ».
Et c’est bien ce qui s’est passé selon André Livrelli : « La réquisition payait toutes choses - Mulets, bétail destiné à la boucherie, produits du sol, vin, fruits et légumes – un prix taxé par l’intendance. Quand au pillage des jardins, à l’abattage des porcs, moutons et veaux dans les campagnes ou le maquis, il faut se mettre dans la peau des propriétaires et des éleveurs pour réaliser l’indignation, la colère et la soif de représailles qui les animaient »
En juin 43, 12 000 Allemands se sont joints à l'occupation italienne. Avec un occupant pour deux habitants valides, on requisitionne, jusque dans le moindre village, des maisons et une partie de ravitaillement alors qu'il est déjà insuffisant pour nourrir les Corses.
Le Front national, qui dispose d'une imprimerie clandestine dans chacun des quatre arrondissements exploite cette situation, fustige le comportement des forces d'occupation et appelle à la révolte.
SOUS LA BOTTE
L’ennemi souille notre sol, pille nos campagnes, matraque nos compatriotes et jette en prison les meilleurs de nos fils.
Les brutes de Mussolini parlent et agissent en maitres, ils ordonnent, décrètent, exproprient, pillent et se comportent comme en pays conquis. Dans les villes, couvre feu une heure avant la tombée de la nuit.
L’autocar du service Bonifacio-Ajaccio arrive après le couvre feu, tous les voyageurs passeront la nuit dans la voiture. Qu’importe s’il y a des femmes, des enfants, des vieux !
Les jardins sont pillés systématiquement, ils ont volé des prunes, ils ont volé des châtaignes et des olives, ils volent les artichauts et les fèves et déterrent avec leurs poignards les pommes de terre qui viennent d’être ensemencées.
Des brebis, des vaches disparaissent mystérieusement. A Aleria, à Porto Pollo, ils tuent un bœuf de labour et l’emportent au quartier.
Mais il y a pire.
A Castellare Di Casinca, le receveur des postes est matraqué par des chemises noires.
Dans un autre village, tentative de viol suivie de l’arrestation de la jeune fille et de son père.
Ailleurs, deux hommes bastonnés par des chemises noires. A Levie, arrestation de tous les élèves du cours complémentaire, chantage, menace de mort et interrogatoire des garçons de 13 ans à coups de poings.
Dans certains villages, Carbini, San Gavino, couvre feu à 7 heures et coups de fusil dans les fenêtres à la tombée de la nuit si l’on aperçoit un rayon de lumière.
Plusieurs centaines de patriotes sont emprisonnés et torturés. Les brutes de Mussolini rivalisent avec la Gestapo. Des hommes sont restés évanouis 3 heures après un « interrogatoire ». Dans les cachots de la caserne de Bastia, deux gosses de 13 ans sont emprisonnés depuis 3 mois. Tout cela crie vengeance.
PATRIOTES CORSES,
Allons nous continuer à gémir comme des femmes ? Allons nous supporter plus longtemps les vols, les pillages, les humiliations, les arrestations ?
Renions notre passé, déchirons notre histoire, si nous ne sommes pas capables de secouer le joug.
Paysans, défendez vos champs !
Bergers, défendez vos troupeaux !
Patriotes, défendez vos filles et vos sœurs, défendez vos maisons !
Corse accablée sous ses voiles de deuil, défend ton honneur et ta vie !
-En encadrant les jeunes refractaires au STO, le Front national a su exploiter le rôle particulier que joue la notion élargie de la parentèle en Corse
Maurice Choury a choisi le titre de son livre "Tous bandits d'honneur" pour reprendre le titre d'un tract diffusé par le Front national appelant les jeunes a refuser l'enrolement au STO.
Publication dans le journal clandestin « le Patriote » d'un article intitulé “aidons les ” incitant les jeunes à refuser le départ au STO et à rejoindre le maquis. Ainsi, chaque jeune gagné pour le maquis amène une famille entière (cousinade à la corse) à aider la résistance.
Aidons-les !
Hitler et Mussolini réclament d’urgence des milliers d’esclaves et de combattants pour essayer d’éviter le châtiment proche. Les valets Pétain et Laval veulent livrer à leurs maitres la jeunesse de notre pays. Le sinistre vieillard demande « ce dernier sacrifice aux Français ».
Jeunes patriotes corses, vous ne partirez pas ! A l’exemple des métallurgistes de la Nièvre, des bucherons de l’Yonne, des cheminots du Nord, des étudiants de Paris, vous refuserez le travail forcé ! Vous gagnerez en masse le maquis et comme les jeunes savoyards vous repousserez tous les assauts des Lucquois et de la police Lavalienne.
Vous êtes en état de légitime défense. Défendez-vous ! Vous deviendrez, selon le mot du Général de Gaulle « l’avant-garde de la France combattante ».
Patriotes corses, hommes et femmes de chez nous, protégez et aidez vos enfants ! Déjà des centaines d’hommes privés de papiers d’identité, de carte d’alimentation, de logis, préférant être déclarés hors la loi que d’aller travailler pour Hitler et ses complices. AIDEZ LES, COLLECTEZ DES VIVRES ET DE L’ARGENT, PREPAREZ DES ABRIS SURS. Que votre porte soit toujours ouverte pour donner asile à un patriote AIDEZ LES, VEILLEZ SUR EUX, AIMEZ LES, ils sont l’honneur et l’avenir de la Corse.
Tract d'appel à la mobilisation de la jeunesse, avril 1943
Source AERI Musée de la résistance en ligne
Le tract dénonce la politique de la Relève mise en place par Pierre Laval en juin 1942, qu'il qualifie de "vaste duperie", évoquant les rafles d'ouvriers français de l'ensemble des grandes villes du pays. Il dénonce de même la politique qui lui a succédé, l'instauration du STO. Rappelant que "Sur tous les fronts, Hitler voit la défaite gronder et la victoire des Alliés certaine", le tract appelle les jeunes à s'organiser en comités de jeunesse pour s'insurger contre la politique collaborationniste du STO et demande à la population de faire preuve de solidarité dans l'organisation et le ravitaillement des maquis, au cri de "Plutôt que les camps, le Maquis".
Solidarité communautaire et familiale :
« ...à Campile, la population s’oppose à la réquisition de jeunes gens, en présence du sous-préfet de Bastia et des gendarmes qui n’insistent pas. La solidarité communautaire joue également dans un certain nombre de cas quand le rejet de l’ennemi, est assez fort pour faire oublier un moment les anciennes luttes de clans, les vieilles inimitiés de familles ; ou quand un enfant du village sait entraîner derrière lui tout le village. C’est le cas à Porri, dont François Vittori est originaire, ou à Silvareccio, autour de Dominique Vincetti. (...)
Parfois l’homogénéité sociale des villages et l’étroitesse des liens de parenté facilitent plus encore cette solidarité. C’est notamment le cas dans le Sartenais qu’évoque Maurice Choury dans son livre Tous bandits d’honneur. Nous sommes là en effet dans une région où les oppositions de classes sont fortes et anciennes et se traduisent dans l’organisation de l’espace et de l’habitat : les « sgio » habitent Sartène, les « pastori » les petits hameaux et « pasciali » du bas-Sartenais. Toute la population de l’Ortolo est dans la Résistance. Des familles entières consacrent toute leur activité au ravitaillement, à la sécurité des hommes du maquis.(...) Sauf exception, la solidarité familiale, nous le savons, est sans faille quand il s’agit de faire face à un adversaire étranger ; un résistant, dès lors qu’il est menacé, peut donc compter sur l’appui de sa famille, de ses parents, de ses amis, même s’ils ne partagent pas ses positions. S’ils les partagent, c’est sur cette base que se fait, de proche en proche le recrutement. Et c’est d’autant plus facile que le maquis n’est que le prolongement du village . » L'esprit de résistance en Corse – Georges Ravis-Giordani -lundi 16 juin 2014, par Comité Valmy
-Du maquisard au « bandit d’honneur »-violence sociale, réalités et imaginaire :
Le caractère insulaire, rebelle aux envahisseurs prédisposait les Corses à entrer dans la résistance
“Les Romains n’achetaient jamais d'esclaves corses car ils savaient qu'il était impossible de les plier à la servitude” Napoléon
Tout au long du littoral corse se dressent sur des promontoires des tours de guêt, « sentinelles » qui donnaient l'alerte lors de l'arrivée d'un envahisseur. Elles étaient gardées par « I torregiani » qui vivaient là en permanence.
« Le ciel de l'Histoire de la Corse est un ciel d'orage, tourmenté, violent, traversé par les éclairs des invasions. Un ciel où les moments de paix, d'un calme trompeur sont vite déchirés par l'explosion des convoitises étrangères - Ibères, Ligures ou Phéniciens, Phocéens, Etrusques ou Syracusains, Romains ou Vandales, Pisans ou Génois….. Victime de sa position géographique comme de l'éclat de sa beauté, l'île a longtemps été contrainte malgré sa pugnacité d'abandonner ses rivages aux envahisseurs que la mer, sans cesse, ramène à elle, la contraignant ainsi à se forger dans l'adversité un tempérament aussi solide que le granit dont elle est issue ». Filitosa [Acquaviva/Amis de Filitosa] - Les Tourments de l'Histoire.
Sampiero Corso incarnera la résistance du peuple corse, lors de l'expédition franco-turque menée en Corse. Ses appels patriotiques restent légendaires et sont repris dans un chant emblématique de la résistance corse :
Ch'à lu son' di lu culombu
Da li monti à la marina
S'attruppi tuttu lu mondu
L'annezzioni s'avvicina
E com'e in tempu anticu
Femu fronti à u numicu
« A Sampiera », écrit par Jean Nicoli et Tony Ogliastroni
"Veut on qu’il n’y ait point d’arbitraire dans les jugements des tribunaux ? Que la loi soit claire et le crime nettement défini. La réaction contre l’arbitraire est une seconde nature chez les corses". (Circulaire aux magistrat provinciaux). CITATION DE PASCAL PAOLI.
-La résistance corse a bénéficié de la géographie spécifique de l'île
Les patriotes corses ont pu, comme le faisaient avant eux les bandits d'honneur corses, exploiter le terrain favorable que leur offrait la géographie de l'île : des petits hameaux difficilement accessibles pour les occupants en raison des chemins peu praticables, où ils trouvaient le soutien de la majorité de la population ; des nombreuses bergeries isolées dans le maquis ou dans la montagne qui leur servaient de relais; et des grottes dans lesquelles ils tenaient leurs réunions et installaient leurs imprimeries clandestines.
Georges Ravis-Giordani souligne le « caractère essentiellement rural et villageois de la Corse des années 40 : 3 Corses sur 4 vivent dans des villages, souvent même dans des hameaux qui ne comptent que quelques maisons. Autant dire que la dissimulation y est impossible. Tout se sait, tout se voit et au quotidien, la Résistance n’est donc possible qu’à la condition que chacun affecte à l’égard d’autrui une solidarité constante ou au moins ce qu’on pourrait appeler une indifférence affectée et dans le pire des cas, une tolérance armée. Car celui qui s’aviserait de dénoncer serait vite suspecté, découvert et sanctionné." Source L'esprit de résistance en Corse – lundi 16 juin 2014, par Comité Valmy
-Le « maquis refuge »
Le terme de maquis désigne des formations végétales broussailleuses et difficiles à pénétrer qui commencent à basse altitude et recouvrent aussi la moyenne montagne.
Pendant la guerre, sur le continent, les “maquis” n'évoquent plus un type de végétation mais désignent les résistants armés qui combattent l'occupation, alors que le terme de maquis est particulièrement adéquat en Corse où se recoupent ses deux sens complémentaires : “maquis de combat ” et, en raison des particularités géographique corse, “maquis refuge”. Le maquis corse assurait une protection aux patriotes et constituait un traquenard pour les occupants.
"Sous le couvert des chênes verts, des arbousiers et des bruyères géantes, l'agent de liaison, le ravitailleur, le franc-tireur retrouvent les qualités ataviques. Faire le guet des heures durant, tapi dans les touffes odorantes de cystes et de lentisques qui bordent la route, marcher sans laisser de trace, faire un feu discret, s'annoncer par un léger sifflement : chacun connaît et applique les règles de la vie au maquis. Le terme "bandit d'honneur" reprend son sens originel. Le maquis redevient le refuge des pourchassés.
Le maquis, c'est la base de départ pour les embuscades et les coups de main, le siège des postes de commandement, des imprimeries et des postes émetteurs de radio, le rideau protecteur des terrains de parachutage.
Quand sonnera l'heure du soulèvement, on mesurera la puissance de l'armée du maquis, enracinée au sol, se battant pour la défense du village et du foyer, symboles vivants de la Patrie."
Maurice Choury, La Résistance en Corse, "tous bandits d'honneur !", préface d'Arthur Giovoni, Editions sociales, Paris, 1958, page 36.
Les maquis armés du Sartenais.
"La zone montagneuse et forestière de Valle Mala, qui s'étend entre le golfe du Valinco et le région de Petreto Bicchisano, où se trouve le hameau des Martini, a été le lieu de formation des maquis du Sartenais. Les affrontements armés y ont été nombreux, simples embuscades ou véritables engagements militaires dans la phase de la Libération. Quelques-uns des plus ardents recruteurs du Front national, Dominique Lucchini ("Ribellu"), Charles Giacomini, Jean Nicoli, Jules Mondoloni, Dominique Bighelli, y ont rassemblé, selon Giacomini, environ 500 patriotes prêts au combat à partir du printemps 1943. Ce maquis a été bien pourvu en armement léger grâce aux débarquements et parachutages et a disposé d'un poste émetteur-récepteur. C'est dans ce maquis que Tony Ogliastroni a composé le chant des patriotes corses, La Sampiera. Le 6 juillet, le village de Petreto-Bicchisano a été encerclé par les carabiniers. Trente-neuf hommes ont été arrêtés et déportés en Italie. Dans la même région, le 24 juillet, les Italiens ont incendié la forêt. Les conditions de vie sont devenues de plus en plus dures dans les maquis du Sartenais qui ont connu, au cours de l'été 1943, le plus grand dénuement. Le ravitaillement y était très difficile en raison de la venue de nombreux réfractaires au STO et surtout du harcèlement par les Italiens. Un débarquement allié y était attendu avec impatience". Source AERI Musée de la résistance en ligne.
En 1943, les hautes vallées de l'Abatescu puis du Travu, au-dessus de la plaine de Solenzara, furent le refuge des évadés de Prunelli di Fium'Orbu qui y avaient été internés depuis mai 1943 et qui échappèrent ainsi à la déportation en Italie. Parmi eux, se trouvaient le sénateur Paul Giacobbi et Eugène Macchini, qui deviendra le maire d'Ajaccio après la Libération. Passés par Ania et Chisa sous la protection de patriotes locaux, ils s'abritèrent dans une grotte, puis dans les bergeries des Pianure, accessibles par de difficiles sentiers. Paul Giacobbi y resta jusqu'à son retour à Venaco, le 9 septembre. Une vie rude et inconfortable qui l'éprouva physiquement, mais lui permit d'être en Corse au moment de la Libération.
La grotte de Porri
Pendant l'été 1943, une grotte de Casinca, au-dessus du village de Porri, lui-même situé à 500 mètres d'altitude, abrita le QG du Front national pendant les semaines précédant la Libération : une grotte naturelle qui n'avait qu'un accès, par des chemins des plus malaisés, à travers le maquis.
Les patriotes corses se sont doté d'une imprimerie clandestine installée cette grotte. Communication et propagande furent des armes fondamentales pour recruter des résistants au sein du Front National de libération.
Le 26 décembre 1942, Emile Reboli, (avec Robert Pedini, italien anti-fasciste dont le père est en prison en Italie), déroba les cadres et les caractères à l'imprimerie du consulat d'Italie à Bastia qui servirent aux imprimeries clandestines de la résistance. Plus de 50 000 tracts et les journaux "Le Patriote" et "Terre Corse" seront édités par l'imprimerie du maquis.
La grotte était bien gardée par les Vincetti, les Vittori, Bébé Arrighi, Antoine Battesti, Noël Agostini et tant d'autres ...
La presse clandestine. Auteur AERI - Musée de la résistance en ligne
"La presse clandestine du Front national, L'Avant-Garde, Terre corse, mais surtout Le Patriote, est animée par l'un des dirigeants du Front national, le journaliste Maurice Choury. Auteurs et lecteurs risquaient alors la peine de mort. Le Patriote est l'organe du Front national, Il avait pour devise la citation de Vauvenargues* : "La servitude avilit les Hommes jusqu'à s'en faire aimer."
Journal clandestin, imprimé recto-verso sur du papier de mauvaise qualité, bien diffusé par le Front national, il permet à la fois de dénoncer des politiques comme celle du STO, que d'appeler à la résistance les jeunes, les femmes, et les hommes capables de prendre les armes. Il corrige aussi les fausses nouvelles données sur les théâtres de guerre. Son principal animateur et rédacteur fut Maurice Choury".
La propagande résistante sous l'Occupation (auteur Hélène Chaubin in Musée de la résistance en ligne)
"Tracts et presse : le 12 novembre 1942, des tracts anti-italiens, imprimés au journal local, Le Petit Bastiais, sont distribués au lendemain du débarquement des troupes d'Occupation. Le directeur du journal, Vincent Bianconi, sera arrêté le 15 janvier 1943. Des membres du Front national s'emparent de matériels d'imprimerie dans une entreprise utilisée par les Italiens : l'Imprimerie nouvelle. Dissimulés dans la grotte de Porri, ils ne seront jamais découverts. Arrestation de cinq cheminots de Corte, membres du FN, qui se chargeaient de la diffusion des textes de propagande tout le long de la ligne Bastia-Ajaccio. Ils s'évadent quatre jours plus tard. en mai 1943. Après le démantèlement par l'OVRA de R2 Corse et de Combat, l'un des agents de Fred Scamaroni, Raimondi, cède au Front national les rotatives et les caractères dont disposaient ces deux organisations à Ajaccio. Transportés des Salines au Forcone, chez mademoiselle Salvadori, ils sont ensuite répartis entre 4 comités d'arrondissement. La presse clandestine du FN, L'Avant-Garde, Terre corse, mais surtout Le Patriote, est animée par l'un des dirigeants du Front national qui est journaliste, Maurice Choury. Le 31 juillet 1943, après la mise à l'écart de Mussolini, le FN adresse des tracts aux soldats Italiens, qui sont un appel à l'union contre le fascisme. Le 10 août, des tracts sont lâchés par des avions anglais près de Baracci. Le 13, ce sont d'autres tracts portant le drapeau américain et l'inscription "Les Nations unies saluent la Corse" à Porto-Vecchio et dans le Sartenais".
- Les « bandits d’honneur ».
“Les vies romanesques” des bandits corses. Vendetta, honneur et maquis : la trilogie d'une Corse pas si ancienne que cela” -Entretien avec Jean-Philippe Antolini signé par Antoine Albertini dans le journal CORSICA
« Le terme de bandit d'honneur serait apparu vers les années 20 pour opérer une distinction entre les bandits d'honneur nés de la Vendetta et les bandits de perception, hors-la-loi cupides et irrespectueux. (…) La vendetta s'est érigée au cours des siècles, et même des millénaires, comme une justice parallèle parce que la justice n'existait pas. Et en l'absence de réelle justice, ce code a fini par devenir, au fil du temps, un véritable garde-fou de la société. (…) En 1931, il restait encore une cinquantaine de bandits dans le maquis. Certains furent abattus au cours d'opérations de ratissage, d'autres, se rendirent les uns après les autres aux gendarmes. En 1934, le maquis avait été officiellement nettoyé de ses bandits. Le souvenir, oral du moins, de ces bandits, marqua jusque dans les années 60, les récits de beaucoup de veillées corses ».
Cette libération anticipée de la Corse a eu un effet psycologique important pour l'ensemble des résistants en France métropolitaine : voir les Allemands les mains en l'air marquait la faillite du mythe de l'invincibilité de la Wehrmacht
« L'ordre d'insurrection du 9 septembre 1943 ne peut guère se discuter même s'il força la main aux états-majors (…) La libération permit d'éviter bien des morts et des destructions : Le débarquement en Sicile nécessita 13 divisions, 38 jours de combats acharnés et 31000 morts . La Corse fut libérée grâce à moins de 7000 officiers et soldats réguliers (dont 400 américains) et 11700 patriotes (…) L'Histoire retiendra l'élan de tout un peuple dressé contre la tyrannie ». Arthur Giovoni-50eme anniversaire de la libération de la Corse
L'estimation des victimes de cette période s'établit ainsi :
Allemands : 1 000 tués
Italiens : 637 tués
Français : la Résistance enregistre dans ses rangs 170 tués ; les troupes régulières enregistrent 75 tués