Les discours
Vernissage de l’exposition "TOUS BANDITS D'HONNEUR"
2 décembre 2013 à la Maison de la Corse
Discours de Monsieur Jean Dal Coletto, vice président de de la Fédération des groupements corses de Marseille et des Bouches-du-Rhône.
Salute à tutti. Pour plonger dans l'intimité de l'exposition "TOUS BANDITS D'HONNEUR", remettons nous dans le contexte des années 42 / 43 .
IL a 29 ans, il est ajaccien, il vient d'être arrêté par l'OVRA en pleine nuit dans un appartement de sa ville natale. Il donne une fausse identité. Nous sommes le 18 mars 1943. Détenu dans la citadelle de la ville impériale, il y est torturé pendant trente heures, on lui arrache les ongles, on le brûle au fer rouge. Avant de se suicider en se tranchant la gorge avec un fil de fer qu'il a trouvé dans sa cellule, il écrit avec son sang sur un des murs : "Je n'ai pas parlé. Vive De Gaulle ! Vive la France !".
Il s'appelait Godefroy SCAMARONI, dit "Fred" SCAMARONI. il avait créé le réseau ACTION R 2 CORSE, et avait fait partie de l'état major du général De Gaulle.
Nous sommes le 30 août 1943, à BASTIA. Il a 44 ans. Il est instituteur, Il est originaire de l'Alta Rocca. Il vient d'être condamné à mort par la justice italienne, le jugement précise qu'il doit être fusillé dans le dos. IL refuse, fait face au peloton, et l'invective en criant : "Vous n'avez pas le courage de me regarder dans les yeux, vous êtes des lâches !" Il est frappé à coups de crosse et décapité au poignard. Dans la nuit, il a écrit à ses enfants : "Tout à l'heure, je partirai. Si vous saviez comme je suis calme, presque heureux de mourir pour la Corse et pour la Patrie".
Il s'appelait Jean NICOLI. En février 43, il était dans la baie d'ARONE et y prenait livraison d'une importante quantité d'armes.
Elle est fille d'une famille d'instituteurs et d'une fratrie de 5 enfants. Elle est ajaccienne, sa famille est originaire de PIANA, elle est née en 1909. Ses parents souhaitent qu'elle soit institutrice. Elle fera ses études dentaires et sera dentiste. Incarnant une nouvelle idée de la femme, elle est militante communiste et dirige un temps l'Union des Jeunes Filles de France. Elle est à PARIS et entre dans la clandestinité lorsqu'en 1939 l'occupant interdit le PCF. Elle est arrêtée en février 42, alors qu'elle approvisionne Georges POLITZER. Détenue d'abord en France, elle est déportée en janvier 43 à AUSCHWITZ où elle meurt de maladie.
Elle se nommait Vincentella PERINI, épouse CASANOVA. Ses amis l'appelaient Danielle.
C'était votre tante, ma chère Isaline.
Maurice CHOURY, votre père avait épousé Emma, la soeur de Danielle en 1936. Il était du même combat, et comme eux,"bandit d'honneur".
Merci, de faire revivre leur souvenir.
Présentation de l'exposition par Isaline Amalric
Je souhaiterais tout d'abord remercier Monsieur Jean Grazi qui a bien voulu accueillir cette exposition à Marseille, à l’occasion du 70me anniversaire de la libération de la Corse. Je tiens également à saluer la présence de Monsieur Patrice Menucci qui a trouvé le temps de nous rejoindre en dépit de son emploi du temps surchargé en pleine campagne électorale.
Mesdames et messieurs, chers amis, comme l’a souhaité Arthur Giovoni lors de son discours d’inauguration de la rue Maurice Choury à Ajaccio le 7 octobre 1989, nous espérons que « lorsque le temps aura apaisé les passions personnelles et les querelles partisanes, lorsque des historiens sereins auront élagué le folklore et les légendes, les distorsions volontaires ou non, en s’appuyant sur les documents de la clandestinité, la vérité historique se fera jour et retiendra l’immense élan de tout un peuple contre la tyrannie »
Voici donc venu aujourd'hui le temps de l'Histoire apaisée :
En effet, le cycle commémoratif du 70 ème anniversaire de la 2ème guerre mondiale s'est ouvert avec la célébration de la libération de la Corse le 9 sept 2013 par le Ministre délégué aux anciens combattants et le 4 oct 2013 par le Président de la République.
-Tous deux ont honoré l'antériorité de la libération de l'île, et présenté la date du 9 sept 43 comme une date historique. Tant il est vrai que sans l'insurrection du 9 septembre, il n'y aurait pas eu de 4 octobre à Bastia et les Corses auraient du attendre leur délivrance par les armées Alliés.
Kader Arif le premier, je le cite : « Vous avez été les acteurs de la libération corse, vous avez été les acteurs de la libération de la France. Vous le savez, nous entrons dans un cycle commémoratif exceptionnel. Le Président de la République a souhaité que ce cycle de libération du territoire soit inauguré ici même, en Corse. » « Nous ne devons pas oublier que la Corse fut le premier département métropolitain libéré et qu'elle put dès lors fournir, par ses mobilisés et ses volontaires, de nouvelles forces à l'armée française pour le débarquement de Provence du 15 août 1944. »
et le président de la république, quant à lui, a été particulièrement élogieux pour l'insurrection du 9 septembre : « Ajaccio est donc la première ville de France métropolitaine à avoir pu entendre la Marseillaise, la première préfecture libérée. Le contrôle de la ville est acquis dès le 9 septembre. Le port et les voies aériennes constituent à ce moment-là les têtes de pont à partir desquelles l’île sera entièrement reconquise.C’est donc ici, d’Ajaccio, le 9 septembre 1943, que commence l’histoire de la Libération de la France ».
-Tous deux ont honoré tous ceux qui -civils et militaires, patriotes de toutes opinions- s'élevèrent contre le fascisme et refusèrent l'occupation. Ils ont mis en lumière le courage et l'esprit de sacrifice qui animaient ces combattants de la liberté et ont mis l'accent sur le rôle des goumiers, notamment au col de Teghime, ces « soldats venus d'Afrique du nord et des pays d'Afrique pour sauver l'honneur de la France »
- Enfin, tous deux ont mis en exergue le rôle décisif de Maurice Choury dans la libération de l'île.
Cette reconnaissance, le général Gambiez, créateur des bataillons de choc puis directeur de l'Institut d'histoire miliaire comparée l'avait déjà demandé en 1987, en déclarant :
« Après 44 ans, la libération de la Corse, passée au crible de l'histoire, apparaît plus claire. Les faits marquants, les grands responsables sortent de l'anonymat. Il n'est que juste que Maurice Choury soit replacé au premier rang des responsables. Maurice Choury, animé par une foi ardente et un patriotisme intransigeant, possédait un sens politique profond et un goût inné des responsabilités qui lui dicteront les décisions les plus risquées mais les plus opportunes.
Un hommage mérité a été rendu à Fred Scamaroni, à Jean Nicoli, à Paul Colonna d'Istria, au commandant l'Herminier, il ne serait que juste de le rendre à Maurice Choury »
Cette année, soit 26 ans plus tard, ce rôle est enfin reconnu par les plus hautes autorités de l'Etat :
Par le Président de la République, le 4 octobre à l'Hôtel de ville d'Ajaccio, je le cite :
« J’évoque en cet instant aussi tous ces combattants de l’ombre qui cherchaient la seule lumière qui vaille : la liberté. Tous ces valeureux qui étaient réunis par le résistant Maurice CHOURY pour préparer le soulèvement d’Ajaccio. »
Et auparavant, par le Ministre délégué Kader Arif dans ses discours le 9 septembre à Ajaccio.
-Place de Gaulle : « Dans la nuit du 8 au 9 septembre, Maurice Choury rédige l'ordre d'insurrection : « Patriotes de Corse, aux armes contre Hitler ! Soldats italiens avec nous contre l'ennemi de l'Europe ! ». Le 9 septembre, il y a 70 ans jour pour jour, ce même Maurice Choury annonçait le ralliement de la Corse à la France libre depuis le toit d'une ambulance municipale récupérée par les résistants et munie d'un haut-parleur. Il y a 70 ans jour pour jour, ce haut-parleur portait haut et à travers toute la ville, puis à travers toute l'île, la voix de Maurice Choury, la voix de la Libération. »kader place de Gaulle
-A la CTC« Le 9 septembre 1943 bien sûr, c'est cet anniversaire que nous célébrons aujourd'hui, celui du soulèvement populaire des Corses qui répondirent à l'appel de Maurice Choury. »
-A la prefecture « Communiquer pour résister, c'était publier un journal au péril de sa vie comme l'a fait Maurice Choury avec « Terre corse » et « Le Patriote » à qui l'exposition à laquelle j'ai assisté ce matin était en partie dédiée ... »
Ce sont ces faits, reconnus aujourd'hui, que vous découvrirez dans la partie intitulée « Maurice Choury alias Annibal » de l'exposition réalisée avec mon frère Hyacinthe Choury à l’occasion du 68 ème anniversaire de l’insurrection du 9 septembre 1943, pour donner à chacun sa juste place et honorer le maximum de patriotes résistants. Cette vaste fresque, intitulée « Tous bandits d’honneur ! » du nom du livre publié par notre père en 1956, a pris appui sur des pièces d'archives familiales inédites.
Maurice Choury était membre du comité dep du FN depuis la conférence de Pori, aux côtés d'Arthur Giovovi, alias Luc, Paulin Colonna d'Istria, alias Paul Cesari, Henri Maillot, alias Lorraine et François Vittori. Responsable de la zone Sud, il y organisa la résistance.
La résistance corse enregistrant de lourdes pertes au printemps 1943, et la chute de Mussolini entrainant le débarquement de SS à Bonifacio, l' ont poussé à passer à l’action : Il écrit à deux reprises aux quatre autres membres du comité départemental pour demander le déclenchement de l’insurrection avec le concours de soldats italiens anti-fascistes : « qu’Alger fasse ce que bon lui semble. Nous avons déjà trop attendu, nous ne pouvons attendre davantage, nous devons partir avec cette idée maîtresse que la libération de la Corse sera l’œuvre des Corses eux-mêmes » et demande une réunion du CD pour statuer sur ses propositions.
Certes il n'était pas le seul a prôner cette stratègie, il partageait cette volonté avec de nombreux patriotes corses, notament avec les communistes et particulièrement les fougueux sartenais, mais son rôle de cathaliseur fut décisif pour emporter, au sein du Comité départemental la décision de déclencher l'insurrection en cas de capitulation italienne.
A l’annonce de cette capitulation, le 8 septembre, à 19h30, Maurice Choury, seul membre du CD présent à Ajaccio, prend la tête d’une délégation de combattants, et expose au Préfet, qui ne veut rien entendre, les vues du Front National.
Accroché aux grilles de la préfecture, il appelle alors à une manifestation pour le lendemain à 10h et rédige, dans la nuit du 8 au 9 septembre, l’ordre d’insurrection qu'il fait parvenir aux cantons et les arrêtés préfectoraux proclamant le rattachement de la Corse à la France Libre.
Le 9 septembre à 10h, il entre en ville avec ses compagnons de lutte au milieu des acclamations. Juché sur une ambulance, il proclame alors le ralliement de la Corse à la France libre et lance l'ordre d'attaque contre les Allemands : Patriotes de Corses, aux armes contre Hitler ! Soldats italiens, avec nous contre l'ennemi de l'Europe.
Puis il pénètre avec les délégués du Front national dans la préfecture pour destituer le préfet. Ils en ressortent un quart d'heure après, l'insurrection a triomphé.
Et Maurice Choury déclare avec des accents napoléoniens : « Fiers d'être le premier département français libéré, nous marcherons vers la libération totale de la patrie... et alors je vous le dis, l'Aigle volera à nouveau de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame ».
Le 6 octobre 1943 : Dès son arrivée en Corse le Général de Gaulle reçoit Arthur Giovoni, Henry Maillot et Maurice Choury et les félicite : « Vous savez que je ne suis pas expansif... Laissez moi vous dire que ce que vous avez fait est beau ».
Cette exposition rend également hommage à des centaines de patriotes dans la partie intitulée « In mémoriam » qui vous présente le Front national des patriotes, le peuple de Corse à l'oeuvre »
Nous rappelons les hauts faits des grandes figures de la résistance, mais au delà, nous avons souhaité mettre à l'honneur le plus grand nombre possible de patriotes qui sont restés dans l’ombre sans que par la suite leur mérite et leur courage soient reconnus. Non seulement ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, mais aussi tous ceux qui avec courage et abnégation ont pris des risques pour la libération de l'ile. Car il en fallait du courage pour être résistant ! quelque soit leur rôle, combattant, agent de liaison, volontaire pour l’hébergement et le ravitaillement des maquisards, ou pour réceptionner et transporter les armes, faire le guet et veiller à la sécurité de tous. Tous risquaient leur vies. Tous ces héros ont contribué à faire la grande histoire. Il ne faut pas les oublier !
La 3e partie de l’exposition présente Danielle Casanova, figure emblématique de la résistance féminine
Elevée au rang d’héroïne nationale en 2009, Danielle Casanova s’illustra par sa conception très moderne du rôle de la femme, par son sens de l’organisation et son courage dans la lutte clandestine et, jusqu’à sa mort, par son esprit de solidarité et de sacrifice
Elle fit parvenir des lettres à sa mère depuis le dépôt de la préfecture , puis du Fort de Romainville. Comme vous pourrez le constater dans l’exposition, elles sont toutes empreintes d’un extraordinaire courage, d’un élan vital irrépressible, et d’une confiance lucide en l’avenir., comme en témoigne cet adieu avant son départ pour Auschwitz : « N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera".
Des destins comme le sien nous réconcilient avec notre histoire
Notre exposition a été mise en ligne sur notre site tousbanditsdhonneur.fr . Elle présente de nombreuses archives utiles pour les élèves comme pour les enseignants qui pourront les téléchager gratuitement
Selon P A lucciani, adjoint au Maire d'Ajaccio elle présente -« une recherche documentaire considérable, des pièces d’archives inédites, des témoignages précis.»
Elle fut également appréciée par Dominique Bucchini, Président de l'Assemblée de Corse, en ces termes : « La richesse de la documentation lui donnant une valeur encyclopédique, l'agencement des documents, le parcours proposé, nous invite à pénétrer dans le passé, dans la mémoire et nous permettent de ressentir, derrière les photographies, le tressaillement de la vie. (...) Je souhaiterais que cette exposition puisse être diffusée, tout d'abord en Corse, car il me semble capital que les élèves, les jeunes et l'ensemble des citoyens puissent connaître leur histoire, mais aussi sur le continent, où trop souvent, malheureusement, on ignore qu'Ajaccio et la Corse furent la première ville et le premier département libérés de notre pays, la France.»
Comme il l'a souhaité, elle est désormais itinérente afin de présenter cette épopée historique encore méconnue du grand public alors qu'elle va désormais figurer dans les programmes scolaires.-«Vous nous avez fait découvrir notre histoire nationale.».a reconnu M. Kader Arif, après sa visite de l'exposition à Ajaccio le 9 septembre 2013
Après Ajaccio en septembre 2011 et octobre 2013, tous bandits d'honneur a été présentée du 29 nov au 1 dec à Hyères, elle est aujourd'hui et jusqu'au 18 décembre dans votre belle ville de Marseille. Souhaitons lui de poursuivre son tour de France, d'honorer ainsi les hommes et les femmes qui se sont battus pour défendre les valeurs de la République. Ecoutons ce message d’Arthur Giovoni : « En ce jour où refleurissent un peu partout dans le monde des germes de fascisme, de racisme, je pense que la jeunesse Corse doit entendre ce message : veillez à ce que jamais plus de pareilles choses se reproduisent ! »
La résistance Corse n'appartient ni à un homme ni à un parti mais à la Corse toute entière. On comprendra que nous en soyons légitimement fiers.
Je vous remercie