Lycée Fesh Ajaccio
Semaine d'éducation et d'actions contre le racisme et l'antisémitisme
29mars 2016 au lycée Fesh de 9h00 à 11h00
3 ateliers thématiques en parallèle
1er atelier Classe de première : « Les relations internationales : les réfugiés et le nouveau désordre mondial »Jacques Amalric et Sébastien Ottavi
2ème atelier classe de terminale : "République-Laïcité-Racisme" Jérome Ferrari, Paul-Antoine Lucciani et Etienne Balibar
3ème atelier Classe de troisième : Les leçons de l'Histoire (racisme, migrants, réfugiés, laïcité) Isaline Amalric et Elsa Renaut
XXX
Atelier « Les relations internationales : les réfugiés et le nouveau désordre mondial » Classe de première ES - Intervenants Jacques Amalric et Sébastien Ottavi
Jacques Amalric :
L'idée de nation, tout sauf une évidence au proche orient arabe
L'idée de nation est en grande partie une invention occidentale. Elle sera pourtant mise en place, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, par la Grande Bretagne et la France lorsqu'elles devront abandonner leur mandat sur la région qui leur avait été accordé à la chute de l'empire ottoman. C'est ainsi qu'apparaissent la Syrie, le Liban et l'Irak. Mais cet ordre est contesté par les nationalistes arabes du parti baath, une formation socialiste et laïque, qui prêche en faveur d'une union de tous les pays arabes de la région. Arrivés au pouvoir en Syrie en 1963, ils feront de même à Bagdad en 1968 mais seront vite écartés, à la suite de coups d'Etat, par des dictateurs, Hafez al Assad en Syrie, en 1970, Saddam Hussein en Irak, quelques années plus tard.
Plus question, dès lors, d'une union des pays arabes même si le dictateur syrien met le Liban sous sa tutelle tout en gardant un oeil sur la Jordanie et la Palestine. Chacun, en fait, appartient à une des deux branches de l'islam qui s'opposent depuis des siècles. Hafez al Assad est alaouite, une dérive du chiisme, minoritaire dans le pays et s'emploie à terroriser la majorité sunnite, y compris gréce à ses armes chimiques. Il s'érige également en protecteur des autres minorités du pays, notamment des chrétiens et finit par conclure d'un accord de coexistence avec les kurdes. Chemin inverse pour le sunnite Saddam Hussein dont la communauté est minoritaire en Irak face aux chiites et aux kurdes traités comme des citoyens de troisième zone.
La guerre civile arabe
Tout est prêt, dès lors, pour le déclenchement de la guerre civile arabe. On peut en fixer le départ à la révolution iranienne de 1979 déclenchée par Khomeyni qui se veut le protecteur de toutes les minorité chiites. S'en est trop pour Saddam Hussein dont le programme est résumé par le titre d'un livre publié alors par son beau père : Trois choses que Dieu n'aurait jamais dû créer : les mouches, les Juifs et les Perses. Par Perses, qui ne sont pas arabes, il faut entendre bien sûr, chiites. Encouragé en sous main par les Occidentaux et par l'Arabie saoudite, Saddam Hussein entre en guerre en 1980 contre l'Iran au prétexte de quelques revendications territoriales. L'affrontement durera huit ans, verra l'utilisation d'armes chimiques par Bagdad, fera des centaines de milliers de morts et se soldera par un compromis bancal. Persuadé qu'il bénéficie désormais du soutien des occidentaux, Saddam Hussein envahit en 1990 le Koweit, un ancien protectorat britannique riche en pétrole, d'où la première guerre du Golfe en 1991 menée par une coalition mandatée par les Nations Unies et conduite par George Bush père, qui refuse de renverser le dictateur malgré la féroce répression contre les chiites et les kurdes irakiens.
La guerre civile arabe va culminer avec la crise syrienne qui débute en 2011 suite à l'arrestation et la torture d'une dizaine de jeunes sunnites de la ville de Deraa coupables d'avoir écrits des slogans hostiles au régime. D'abord pacifiques, les manifestations sont réprimées par l'armée qui ouvre le feu. Bachar al Assad, qui a succédé à son père, accuse les manifestants de terrorisme et, pour brouiller les cartes, libère de nombreux islamistes sunnites qui obtiennent l'aide de l'Arabie saoudite, du Quatar et même de la Turquie. Bachar al Assad, de son côté, peut compter sur le soutien de l'Iran et des combattants du Hezbollah libanais.
Sébastien Ottavi : texte de travail distribué à la classe en amont pour préparer le débat :
I. Une région fragile et convoitée
A/ un carrefour stratégique et complexe
- Carrefour de civilisations et de cultures, à différentes échelles. Le berceau des trois monothéismes – des lieux saints (Jérusalem, La Mecque et Médine) –Une mosaïque de peuples et de religions
- Carrefour économique, de la route de la soie au pétrole. contact Asie-Europe – zone stratégique qui a suscité les convoitises dès le 19e siècle : construction du canal de Suez, positions britanniques au Yémen, françaises à Djibouti… Rôle renforcé avec l'exploitation des hydrocarbures, richesses qui commencent à être exploitées dans les années 1920, par des compagnies anglo-saxonnes qui passent des "accords" avec les gouvernements locaux (5 p. 87). 2/3 du pétrole, 40% du gaz Mondial.
B/ Une région remodelée après l’empire ottoman :
L’effondrement de l’empire ottoman donne lieu à l’apparition d’Etats indépendants, mais la région est mise sous mandat par la SDN : contrôle français et britannique, parfois imposé par la force révolte irakienne en 1920, révolte des Druzes (Liban) en 1925. La recherche d'indépendance par les nouveaux Etats se heurte aux occidentaux. Cette forte mainmise se retrouve lors de la crise de Suez en 1956, mais à ce moment on a déjà changé d’époque : les deux grands de la guerre froide se posent en alternative.
C/ Une région à la croisée des influences extérieures
- Le relais est pris par les deux Grands (USA et URSS) dans le cadre de la guerre froide. Ils ont condamné l’intervention franco-britannique, mais de leur côté essaient d’étendre leur influence : les USA, accords avec la famille régnante saoudienne dès 1945, rôle dans la chute du 1er ministre iranien Mossadegh en 1953 (voulait nationaliser le pétrole) - l'URSS : influence en Iran, en Afghanistan, accueil d’étudiants, aide aux communistes.
- Après la guerre froide : renforcement de la présence US à l'occasion de la guerre du golfe de 1991, une guerre qui résulte largement des divisions de la région. Bases permanentes US en Arabie Saoudite.
II. Une région qui subit de multiples déchirements
A/ Après 1948 : la création de l’Etat d’Israël et la question palestinienne
- Naissance d'une nation qui triomphe systématiquement de ses adversaires arabes. La solution à deux Etats de 1947 est vite oubliée : au contraire après les guerres de 1967 et 1973, "territoires occupés". Soutien de l'occident en général dans un premier temps, des Etats-Unis spécifiquement ensuite. Soutien économique, technique (défense), diplomatique (à l'ONU : résolutions contraignantes pour Israël sont bloquées).
- Naissance de la "question palestinienne" : millions de réfugiés chassés de Palestine par les différentes guerres, qui réclament une terre et un Etat. OLP créée en 1967.
B/ Une volonté d'union qui tourne court
1945, création de la Ligue arabe. Volonté d'accélérer la décolonisation (Israël en devient le symbole), de promouvoir l'unité et la coopération entre Etats de la région. On parle de "nationalisme arabe", qui s'incarne particulièrement dans ceux des Etats qui sont laïcs et modernistes. Mais il perd toutes ses guerres contre Israël, n’a pas évité les conflits internes à la région (guerre Iran-Irak, 1980's), n’a pas crée le commencement d’un espace de prospérité commune alors que la zone est riche de ressources. De plus, mode de gouvernement autoritaire, élite souvent corrompue.
C/ Des régimes autoritaires et contestés
Qu'ils soient de type monarchique "religieux" (Arabie Saoudite) ou nationalistes arabes laïcs (Egypte, Irak, Syrie...), une majeure partie des Etats est autoritaire. Répression des opposants politiques de tous horizons, accaparement du pouvoir par des clans tribaux (larges familles régnantes dans la péninsule arabique, tribu de S. Hussein en Irak, lui même prend le pouvoir par un coup d'Etat violent) ou des minorités religieuses (ex. les Alaouites en Syrie qui ont tous les postes de responsabilité). De fait, des Etats qui ne sont modernes qu'en apparence, parfois très fragiles face à un tribalisme généralisé (ex. Yémen).
III. Une nouvelle donne : la montée en puissance du paradigme religieux
A/ L’émergence de l’islamisme
- Egypte, 1928, naissance du mouvement des frères musulmans, qui veut lutter contre l'occidentalisation. Subit une dure répression mais survit parmi les pauvres (action sociale).
- Création de l'Organisation de la Conférence Islamique en 1969, qui veut donner une base religieuse aux buts de la Ligue arabe.
- Révolution iranienne de 1979 : le régime du Chah, mis en place par les USA en 1953, est renversé avec le soutien d’un petit
Peuple chiite révulsé par la corruption et l’étalage des richesses de l’élite occidentalisée du pays.
Des impulsions qui pèsent lourd dans le contexte de l’échec du « nationalisme arabe " (cf. II. B).
B/ Dans le conflit israélo-palestinien : le religieux remplace le national.
- Israël renâcle à évacuer les territoires occupés (seule Gaza l’a été) car montée d’une « droite » religieuse, qui défend et applique par la colonisation un sionisme intégral. Emblématique : assassinat d'Y. Rabin par un fanatique religieux juif en 1995.
- Avec les accords de paix, l’OLP devient une organisation de gouvernement (ds les territoires occupés) – ce sont des organisations islamistes qui prennent le relais de la lutte armée radicale (attentats suicides) : Hamas... – elles sont populaires car mènent en parallèle une action sociale, et ne sont pas suspectes de corruption.
- Au delà, le courant islamiste se saisit largement de la question palestinienne pour sensibiliser l'ensemble des musulmans et les mobiliser, contre l'occident et surtout les Etats-Unis, jugés responsables.
C/ L'après-11 septembre :
- Interventions occidentales en Irak en Afghanistan (2001) et en Irak (USA stt - 2003). Un enlisement certain, et des situations (bavures, abus) qui transforment ces zones en abcès de fixation du djihad, attirant les combattants et mobilisant une partie de l'opinion musulmane dans le monde entier.
- Une ouverture démocratique très difficile, et pourtant revendiquée. 2011 : manifestations réprimées en Iran - renversement du régime en Egypte, guerre civile progressive en Syrie. L'écho des "printemps arabes" est complexe : demandes de démocratie, utilisation massive des outils de la mondialisation (NTIC), mais l'alternative islamiste se profile avec force : résultats des élections en Egypte, groupes armés Djihadistes en Syrie...
Conclusion : une région complexe, dont il faut considérer l’ancrage paradoxal dans la mondialisation, origine de conflit mais aussi très bien insérée (cf. l’étude menée en géo sur ce thème).
XXX
Atelier "République-Laïcité-Racisme" - classe de terminale - participants Jérome Ferrari - Etienne Balibar- Paul-Antoine Lucciani
Jérome Ferrari : texte à venir
Etienne Balibar : Excusé mais a envoyé sa contribution :
Cher amis, chers participants et participantes,
Je suis désolé de ne pouvoir venir en personne participer à la discussion qu’organise l’association des Amis de Danielle Casanova dans le cadre de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme d’Ajaccio. Je vous dis mes regrets et vous présente à tous, à toutes, mes excuses. A défaut d’être là, je prie Isaline Amalric de vous lire un petit message. Je sais bien que cela ne peut pas remplacer un contact vivant avec vous. Mais j’espère que cela pourra contribuer à votre réflexion certainement déjà très riche.
Je suis né en 1942, et j’avais un peu plus de 20 ans au moment de la fin de la Guerre d’Algérie, qui pendant huit terribles années avait servi d’horizon à notre jeunesse, forcée de tuer ou d’être tuée pour essayer de retarder la décolonisation. J’appartiens donc à une génération qui ne pouvait ignorer ni la violence et la guerre, ni les discours ou les idées racistes qui les alimentent les haines nationales, et qui, en retour, s’en nourrissent. Portée par un grand espoir d’émancipation, de fraternité entre tous les hommes (et femmes), indépendamment de leur nationalité, de leur culture, de leur couleur de peau, notre génération a pu s’imaginer que l’élimination du racisme était inéluctable, et peut-être même proche. Aujourd’hui cet objectif semble avoir reculé. Je ne viens pas dire que nous devons y renoncer : au contraire, il est plus urgent que jamais. Mais nous savons que la tâche est complexe, plus difficile que prévu, plus incertaine dans ses résultats. Le message que je vous adresse est un message d’obstination et de courage. Je voudrais vous dire aussi que, pour bien se battre, il faut savoir à quoi on a affaire. C’est pourquoi des initiatives d’éducation comme celle-ci sont tellement importantes et utiles.
Qu’est-ce que le racisme, dans toute sa généralité ? C’est le fait de croire que certains êtres humains seraient en quelque sorte « plus humains que d’autres », ou posséderaient une humanité supérieure en raison de leur apparence physique, ou de leur généalogie, ou de leurs modes de vie et de leurs habitudes de pensée. Naturellement, tous les individus humains sont différents, et suivant les circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés, ou la formation qu’ils ont reçue, ou même certaines prédispositions individuelles, ils peuvent réussir plus ou moins bien dans la vie. Mais avec le discours raciste il s’agit de quelque chose d’autre : il s’agit de se persuader et de faire croire qu’il y a des catégories entières d’êtres humains supérieures ou, au contraire, inférieures à d’autres. Grâce à cela, on justifiera le fait que certains devraient commander aux autres, ou bénéficier d’une « préférence » de la part de la société et de l’Etat, ou même – dans le pire des cas – chasser et éliminer les autres.
Au XIXème siècle, en combinant des préjugés de couleur et de culture issus de l’esclavage et de la colonisation avec des doctrines biologiques fantaisistes inspirées par la théorie de l’évolution (qui est une grande théorie scientifique), les théoriciens du soi-disant racisme scientifique ont prétendu répartir la population humaine entre des « races » héréditaires, les unes « supérieures » et les autres « inférieures ». Cette doctrine a été enseignée dans les classes pendant des générations, même en France. C’est elle qui a conduit à la discrimination des Noirs, à l’apartheid en Afrique du Sud, à l’extermination des Juifs (ou soi-disant tels) pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et à d’autres violences encore. Elle a été dénoncée comme un mensonge et une idéologie criminelle par les grandes « Déclarations sur le racisme » rédigées par l’UNESCO sur la base de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qu’on enseigne aujourd’hui aux élèves des écoles dans tous les pays démocratiques. On aurait pu penser alors, avec la décolonisation, la fin des régimes de ségrégation et la défaite du nazisme, que le racisme était proche de sa fin.
Mais il a pris d’autres formes, et s’est paré d’autres justifications. Il est important de les étudier, pour démêler le vrai du faux, pour savoir comment résister dans sa tête et comment répondre à ceux qui nous prêchent aujourd’hui la haine ou la crainte des autres, les êtres humains qui sont plus ou moins différents de la majorité, ou, à l’inverse, de la minorité qui veut se réserver certains avantages. Comme autrefois, le racisme couvre des discriminations ou engendre des violences, mais pas toujours pour les mêmes « raisons » qu’avant.
L’idée que l’humanité se diviserait biologiquement en « races » séparées n’a plus aucun défenseur « savant » aujourd’hui, dans les Universités ou les Académies. Pour autant il n’est pas certain qu’elle ait totalement disparu, car les préjugés ont la vie dure. Il y a encore beaucoup de gens qui croient « les Noirs » sont moins intelligents, ou plus puissants sexuellement, ou que les « Jaunes » ou les « Arabes » sont rusés, malhonnêtes, etc. Mais surtout, ce qui s’est passé, et qui est pour une part le résultat de la décolonisation elle-même, c’est que la notion de culture a largement remplacé la notion de « race » pour fabriquer des boîtes ou catégories étanches, dans lesquelles on pourrait ranger les individus une fois pour toutes et de père en fils. Bien sûr il ne faut pas nier que les cultures existent. Surtout la différence culturelle existe : entre les croyances, les goûts artistiques et culinaires, les langues, les formes de la politesse, etc. C’est même une richesse fondamentale pour l’humanité, qui échappe ainsi à l’uniformité et à la stérilité. Mais il n’est pas vrai que les cultures soient fermées, impénétrables les unes aux autres. Au contraire elles ne cessent de se transformer et de s’influencer les unes les autres. Et surtout il n’est pas vrai que les individus soient enfermés dans une seule culture : ils peuvent en connaître et éventuellement en hériter plusieurs, dont ils font des mélanges plus ou moins compliqués et originaux. C’est de plus en plus le cas dans le monde d’aujourd’hui, où les hommes circulent plus qu’autrefois, parfois pour leurs affaires ou leur plaisir, mais parfois aussi poussés par la nécessité et le malheur, comme les migrants et les réfugiés que nous voyons aujourd’hui arriver en Europe.
L’obsession de ce « nouveau racisme », que certains savants ont appelé un « racisme culturaliste », c’est d’éviter à tout prix cette communication, ce mélange des cultures, cette richesse plus grande des identités devenues « multiples », en dénonçant de soi-disant « invasions » ou « dangers » pour l’identité nationale, française ou européenne, que les migrations mettraient en péril mortel. C’est pourquoi une des tâches fondamentales de l’éducation aujourd’hui est de faire connaître aux futurs citoyens que vous êtes l’histoire des cultures, la richesse que représentent les différences pour l’humanité. C’est aussi de faire toute la clarté sur les vraies causes de misère, ou d’insécurité, ou d’inégalités, qui ne tiennent pas à ce que les hommes sont différents, mais à ce qu’on se sert de leurs différences pour les opposer entre eux, les opprimer ou les utiliser comme des instruments, dont on se sert quand on en a besoin, après quoi on cherche à s’en débarrasser comme s’il s’agissait de déchets.
Mais aujourd’hui, en France et plus généralement en Europe, et même dans d’autres régions du monde, nous avons affaire à un autre genre de racisme encore, qui peut devenir particulièrement meurtrier, et pourrait créer au sein de notre pays des antagonismes dramatiques, en particulier s’il vient se mélanger avec les effets de peur et de méfiance qu’engendrent les actes terroristes, ou qui viennent de la contamination de notre société par les guerres du Sud de la Méditerranée dans lesquelles nous sommes aussi engagés. Cet autre genre de « nouveau racisme » se formule dans le langage de l’antipathie religieuse et de la méfiance ou du mépris pour certaines traditions religieuses. Déjà l’antisémitisme, avec les conséquences effroyables que l’on sait, provenait en partie de la traduction dans un langage racial des vieux préjugés religieux contre les juifs. Aujourd’hui l’antisémitisme n’a pas disparu, loin de là, mais un autre racisme religieux s’est développé à grande vitesse qui est l’islamophobie. Les actes et les insultes islamophobes sont encore plus nombreux que les actes et les violences antisémites. Ils visent des immigrés ou des descendants d’immigrés pratiquant la religion musulmane ou qui sont censés en avoir hérité leur culture et leur mode de vie. Ils désignent l’Islam en tant que tel comme la cause des dangers et des violences contre lesquelles nous devrions nous protéger – alors que l’Islam, comme toute grande religion, engendre suivant les circonstances et les individus aussi bien le meilleur que le pire : parfois la violence, mais le plus souvent la générosité et l’amour du prochain.
L’islamophobie pose un problème particulièrement grave et difficile aujourd’hui en France parce qu’elle sert à désigner des boucs émissaires pour toute sorte de maux dont souffre notre société, ou même à fabriquer une sorte d’ennemi intérieur à qui on attribuera globalement la responsabilité de ce qui nous menace. Il ne faut donc pas se contenter d’en parler à demi-mot, mais il faut affronter la question en toute sincérité et avec exactitude. C’est pourquoi je suis partisan, en ce qui me concerne, que les textes ou discours officiels qui, dans le milieu scolaire et dans l’espace public, nous mettent en garde (à juste titre) contre les résurgences du racisme et de l’antisémitisme, fassent aussi explicitement allusion à l’islamophobie et la condamnent.
Un des avantages de cette franchise serait aussi de clarifier certains débats embrouillés, parfois malintentionnés, à propos de la laïcité. L’islam est une religion qui, comme telle, doit comporter les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres : son culte doit bénéficier de la même liberté, des mêmes protections et de la même visibilité que les autres dans la République française. Son exercice ou sa prédication doivent aussi, éventuellement, respecter les mêmes règles de tolérance et d’ordre public. En revanche l’islamophobie est une forme de racisme à prétexte religieux, qui doit être combattue énergiquement, surtout si elle s’introduit dans le discours laïque lui-même, en exigeant des musulmans une « discrétion » ou un sacrifice de leurs convictions qu’on ne réclamerait pas pour les religions « traditionnelles » dans notre pays.
Rien de tout cela n’est facile, ni à comprendre ni à mettre en pratique. Dans la vie de tous les jours, à l’école, à la maison, dans l’espace public, nous avons beaucoup à faire pour éliminer nos préjugés, dénoncer toutes les injustices et les discriminations, combattre les vraies causes de malheur ou d’insécurité, donc traiter nos concitoyens et les étrangers qui s’installent chez nous ou doivent y être accueillis comme des êtres humains égaux, avec leurs différences, leurs qualités et leurs défauts. C’est difficile, mais cela en vaut la peine, car c’est ainsi que nous fabriquons pour eux et pour nous-mêmes une société hospitalière, dont nous serons fiers de la transmettre un jour à nos propres enfants.
Etienne Balibar
Visiting Professor 2015-2017
Department of French and Romance Philology,
Institute of Comparative Literature and Society,
Columbia University, New York tel. 929-371-4611
XXX
Atelier "Les leçons de l'Histoire" (Racisme, xénophobie, discrimination, antisémitisme...Etrangers, migrants, réfugiés) classes de troisième. Intervenants Isaline Amalric et Elsa Renaut
Isaline Amalric :
Chers élèves, j'ouvre cet atelier par une question : avons nous su tirer les leçons de l'histoire ?
C'est le sujet de l'exposition présentée dans le hall de votre lycée à l'occasion de la semaine d'éducation et d'action contre le racisme et l'antisémitisme. Le premier volet de cette exposition nous plonge dans la seconde guerre mondiale en évoquant la lutte héroïque des résistants anti fascistes et les crimes contre l'humanité commis par les nazis comme aboutissement du racisme (la Shoah)
(Passer le panneau sur la shoah sur l'écran)
Commentaires : Quelques chiffres et un témoignage pour vous donner un aperçu du bilan de l'horreur
Le bilan de l'extermination
- Le génocide des Juifs : Le mémorial israélien Yad Vashem de Jérusalem établit pour une fourchette allant de 5,596 et 5,860 millions de juifs exterminés sur une population juive européenne globale estimée avant-guerre à 9,797 millions d’individus, selon les travaux publiés par le centre israélien.
- Les déportés de France : 85 000 déportés au titre de la répression de la lutte contre l'occupant, dont 40 % ne sont pas revenus, soit environ 34 000 personnes non rentrées ; 76 000 déportés (dont 11 000 enfants), au titre des persécutions antisémites
- Le génocide des Tsiganes : deux cents à cinq cent mille victimes, soit 25 à 50% des Tziganes d’Europe
- L’euthanasie des handicapés et malades mentaux : deux cent soixante quinze mille personnes ont péri
-Sans oublier les homosexuels
Passer le panneau Danielle Casanova sur l'écran
A Birkenau, soixante-treize jours après leur arrivée, sur 230 femmes résistantes déportées (dont Danielle Casanova) elles n'étaient plus que 70. A la fin, il n'y en aura plus que 49, ce qui correspond à un taux de mortalité de 79%, un chiffre particulièrement élevé pour des déportées de répression Sur les quarante-neuf qui survécurent au convoi, il n'y en eut que trois à avoir échappé au typhus. Le typhus était la terreur des SS. Ils fuyaient les détenus atteints et n'avaient qu'un but : les envoyer au crématoire le plus rapidement possible, souvent après passage à la chambre à gaz.
A Birkenau, les Nazis ne nourrissaient même plus les déportées. Chaque jour, des centaines femmes mouraient, couchées dans la neige, blessées ou malades. Ce Block était dirigé par un SS nommé Tauber, dont la cruauté était redoutée de tous. Plusieurs fois par jour, il s'enfermait dans le Block, frappait à tour de bras celles qui l'entouraient et excitait son chien qui se jetait sur les femmes ensanglantées et les déchirait.
Marie claude Vaillant Couturier a témoigné au procès de Nuremberg qui jugeait les criminels nazis . Voici un extrait de son témoignage illustrant le calvaire de la vie des déportés :
« Durant tout le travail, les SS hommes et femmes qui nous surveillaient nous battaient à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m'est même arrivée de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS Tauber excitait son chien contre elle et ricanait à ce spectacle. (...) Il y a eu le 5 février ce que l'on appelait un appel général. A 3 heures et demie du matin tout le camp a été réveillé et envoyé dans la plaine, alors que d'habitude l'appel se faisait à 3 heures et demie, mais à l'intérieur du camp. Nous sommes restées, dans cette plaine, devant le camp, jusqu'à 5 heures du soir, sous la neige, sans recevoir de nourriture, puis, lorsque le signal a été donné, nous devions passer la porte une à une, et l'on donnait un coup de gourdin dans le dos, à chaque détenue, en passant, pour la faire courir. Celle qui ne pouvait pas courir, parce qu'elle était trop vieille ou trop malade, était happée par un crochet et conduite au bloc 25, le bloc d'attente pour les gaz. Ce jour-là, dix Françaises dans notre transport ont été happées ainsi et conduites au bloc 25. Lorsque toutes les détenues furent rentrées dans le camp, une colonne, dont je faisais partie, a été formée pour aller relever dans la plaine les mortes qui jonchaient le sol comme sur un champ de bataille.
Nous avons transporté dans la cour du bloc 25 les mortes et les mourantes, sans faire de distinction; elles sont restées entassées ainsi. Ce bloc 25 était l'antichambre de la chambre à gaz . On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c'était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre »
Isaline Amalric : "Il me reste un souvenir de ma tante Danielle Casanova pour ne jamais l'oublier : une petite poupée de chiffon confectionnée pour ma naissance alors qu'elle était prisonnière au Fort de Romainville."
Faire circuler la poupée
Les réactions du monde pendant la Shoah
- Les États satellites du Reich :
« En juillet 1942, la police française organise la rafle du Vel’ d'Hiv, antichambre d’Auschwitz. Le gouvernement slovaque prend l’initiative d’offrir au Reich des travailleurs juifs, l’armée et la gendarmerie roumaines massacrent plus de 300 000 Juifs. (Des) Polonais, Lituaniens, Lettons, Ukrainiens, Croates ptêtent main forte aux Allemands ». ( Saul Friedländer, professeur à l'université de Tel Aviv et de San Francisco, spécialiste de la Shoah)
Il faut néanmoins souligner le courage d'une partie des populations européennes qui tentèrent de sauver le maximum possible de juifs.
- Les limites imposées à l'immigration :
« A la conférence d'Evian de 1938 aucun pays, excepté la République Dominicaine, ne se montra prêt à augmenter ses quotas d’immigration.(...) Lors de la conférence des Alliés aux Bermudes en 1943, aucune proposition concrète de secours ne résulta des débats.(Encyclopédie multimédia de la Shoah - United states Memorial Holocaust museum)
-« La communauté juive américaine fut très partagée. En effet, ceux qui ont réussi leur intégration craignaient que l'arrivée massive d'immigrants juifs engendrent des réactions antisémites (déjà très importantes aux USA à l'époque) dont ils subiraient les effets ». Réalité-Histoire- 18 février 2009.
PAUSE DEBAT AVEC LES ELEVES : Vous devrez vous exprimer sans honte sur vos propres préjugés comme sur les propos que vous pouvez entendre autour de vous, ou lire sur les réseaux sociaux que vous pratiquez abondamment, et qui pour certains ne sont que déferlement de haine et de propos racistes
Reprise de l'exposé : Dans les années d'après guerre le souvenir de la déportation était encore brulant dans les esprits et personne à l'époque n'aurait osé tenir publiquement des propos racistes.
-Le 23 janvier 1963, des déportés survivants et des familles de déportés ont commémoré le 20ème anniversaire du convoi de 230 femmes résistantes, livrées aux nazis par la police française et conduites vers le terrible camp d'extermination de d'Auschwitz Birkenau. Parmi elles se trouvait Danielle Casanova.
Madame Hyacinthe Périni mére de Danielle Casanova a reçu à cette occasion un carnet du souvenir. Il contenait plus de 200 signatures et la teneur des messages était : « Que nous ne revivions jamais de telles horreurs ! »
Faire circuler le carnet
-Je vous lis un extrait du message qu'Etienne Balibar nous a adressé ne pouvant être parmi nous aujourd!hui:
« Je suis né en 1942, et j’avais un peu plus de 20 ans au moment de la fin de la Guerre d’Algérie, qui pendant huit terribles années avait servi d’horizon à notre jeunesse, forcée de tuer ou d’être tuée pour essayer de retarder la décolonisation. J’appartiens donc à une génération qui ne pouvait ignorer ni la violence et la guerre, ni les discours ou les idées racistes qui les alimentent les haines nationales, et qui, en retour, s’en nourrissent. Portée par un grand espoir d’émancipation, de fraternité entre tous les hommes (et femmes), indépendamment de leur nationalité, de leur culture, de leur couleur de peau, notre génération a pu s’imaginer que l’élimination du racisme était inéluctable, et peut-être même proche. Aujourd’hui cet objectif semble avoir reculé. Je ne viens pas dire que nous devons y renoncer : au contraire, il est plus urgent que jamais. Mais nous savons que la tâche est complexe, plus difficile que prévu, plus incertaine dans ses résultats. Le message que je vous adresse est un message d’obstination et de courage. Je voudrais vous dire aussi que, pour bien se battre, il faut savoir à quoi on a affaire. C’est pourquoi des initiatives d’éducation comme celle-ci sont tellement importantes et utiles ».
Et pourtant 50 ans après la deuxième guerre mondiale, 50 ans après les années fascistes et l'horreur de la déportation, Arthur Giovoni, héros de la résistance corse et maire d'Ajaccio après la libération, a ressenti le besoin de lancer ce message :
« En ce jour où refleurissent un peu partout en Europe des germes de fascisme et de racisme, j'adresse un message à la jeunesse : Veillez à ce que jamais nous n’ayons à revivre ce que ces résistants et ces déportés ont vécu ».
Il n'a malheureusement pas été entendu et nous sommes nombreux à avoir ressenti une terrible honte au matin du 26 décembre dernier en mesurant la gravité de ce qui s'est passé aux jardins de l'Empereur.
Comme l'a écrit Jérome ferrari :
« Apparemment, si j’en crois les vidéos, rien n’est plus délectable que de se laisser aller en groupe à une pulsion de lynchage qu’on voudrait faire passer pour une soif de justice. Mais où est la justice ? Que l’intolérable agression des pompiers mérite une punition sévère, voilà qui est évident ; mais par quel miracle aberrant cette punition pourrait-elle consister à s’en prendre à une communauté tout entière en terrorisant des familles innocentes ? Hélas, je crains que les courageux manifestants ne se soucient pas le moins du monde des pompiers. Ils ont simplement saisi l’occasion qui leur était offerte de laisser libre cours à la haine qui, depuis des mois, parcourt les réseaux sociaux .(...)chacun conviendra, je pense, qu’organiser une ratonnade le jour de Noël témoigne d’une conception pour le moins originale de l’esprit évangélique » (...) Quant au particularisme corse, si c’est en cela qu’il consiste, alors il nous faut admettre que nous sommes définitivement intégrés : en Allemagne, en Hongrie, dans toute l’Europe, pullulent des clones de nos manifestants et, en France même, leurs frères du Front National jubilent de se reconnaître dans le miroir qui leur est tendu depuis Ajaccio.»
Mais nous ne sommes pas là aujourd’hui pour battre notre coulpe. Ce que nous voulons c'est travailler avec la jeunesse de notre île.
Pour tenter de contrer les préjugés et les discours de haine qui, depuis des mois, parcourent les réseaux sociaux.
Cependant, nous savons, comme Etienne Balibar que: « la tâche est complexe, plus difficile que prévu, plus incertaine dans ses résultats. Le message que je vous adresse est un message d’obstination et de courage. Je voudrais vous dire aussi que, pour bien se battre, il faut savoir à quoi on a affaire. C’est pourquoi des initiatives d’éducation comme celle-ci sont tellement importantes et utiles ». fin de citation
C'est pourquoi, après avoir rappelé les leçons de l'histoire de la deuxième guerre mondiale, nous estimons qu'il ne suffit pas de sensibiliser la jeunesse à la fin tragique de ceux qui sont tombés les armes à la main, et que l'attention doit porter sur les raisons de leur engagement: ce sont des idéaux, des valeurs qui ont poussé ces héros à combattre.
Il est donc nécessaire de redonner leur sens aux mots et d'éclairer la jeunesse sur les sujets qui font débat de nos jours : l'exposition propose donc trois autres parties :
– Eux c'est nous : Pour clarifier les notions de réfugiés , migrants, étrangers
– - Les attentats de 2015 : Pour rendre hommage aux victimes, pour clarifier les notions d'Islam, terrorisme, Daesh... pour sortir des innombrables ambiguïtés qui entourent les liens entre les différentes familles de l'Islam, les pays arabo-musulmans, les terrorismes.
– La république : Pour clarifier les notions de République, liberté, égalité, solidarité, droits de l'homme, citoyenneté, laïcité... et pour dénoncer le racisme et l'anti-sémitisme.
PAUSE DEBAT
Nous concentrerons le débat d'aujourd'hui sur une question : le racisme, c'est quoi exactement ?
(Projection sur écran du texte sur le racisme)
Racisme, xénophobie, discrimination, antisémitisme...
Etrangers, migrants, réfugiés
On peut donc définir le racisme comme un ensemble de comportements conscients ou non, fondé sur l'idée de supériorité de certains hommes sur d'autres. Ces comportements conduisent à la ségrégation (le fait de séparer des gens des autres à cause de leur origine, leur religion, leur âge, leur sexe, etc.) la discrimination raciale (faire des différences entre les gens à cause de leurs origines.) la xénophobie (le rejet des étrangers).
La discrimination se manifeste à l'égard de toute personne ressentie comme extérieure au groupe : les étrangers, quiconque présente une autre apparence, se comporte différemment, les originaux et les marginaux, les personnes mal intégrées, les vieux, les handicapés... Est raciste toute pratique qui traite des êtres humains de manière injuste ou intolérente, les humilie, les offense, les menace ou les met en danger physiquement en raison de leur caractéristiques corporelles, leurs origines , leurs caractéristiques culturelles ou leur foi
Beaucoup de gens sont racistes alors qu'ils disent et pensent qu'ils ne le sont pas
Ce ne sont pas les races qui crééent le racisme mais les racistes qui inventent la notion de races. Car c'est démontré scientifiquement : biologiquement, les races ça n'existe pas.
Mais alors, comment se fait-il qu'il y ait des racistes ?
Les racistes sont des individus qui, par ignorance ou par frustration, éprouvent le besoin de se sentir supérieurs à d'autres humains. Alors ils inventent des soit disantes races en regroupant des individus selon leurs couleurs, leurs origines et coutumes ou leurs croyances religieuses.
On peut donc définir le racisme comme un ensemble de comportements conscients ou non, fondé sur l'idée de supériorité de certains hommes sur d'autres. Ces comportements conduisent à la ségrégation (le fait de séparer des gens des autres à cause de leur origine, leur religion, leur âge, leur sexe, etc.) la discrimination raciale (faire des différences entre les gens à cause de leurs origines.) la xénophobie (le rejet des étrangers).
La discrimination se manifeste à l'égard de toute personne ressentie comme extérieure au groupe : les étrangers, quiconque présente une autre apparence, se comporte différemment, les originaux et les marginaux, les personnes mal intégrées, les vieux, les handicapés...
La ségrégation, la discrimination raciale, la xénophobie, l'antisémitisme (la haine contre les juifs) sont des mots qui désignent autrement le racisme.
Le racisme est une hostilité envers un groupe ou une catégorie de personnes : Un individu xénophobe hait les étrangers. Un individu antisémite hait les juifs.
COMMENT EXPLIQUER LES COMPORTEMENTS RACISTES ? Par l'ignorance, la peur de l'autre, de la différence.
Être raciste ou xénophobe, c'est mépriser l'autre parce qu'il est différent de soi. En fait les personnes racistes ont souvent peur de ceux qui ne sont pas comme elles.
Cette peur de la différence donne souvent naissance à des comportements agressifs : on insulte quelqu'un parce qu'il a la peau noire, parce qu'il pratique une religion différente ou parle une autre langue. Cela commence par des mots insultants : Sale noir, sale arabe, sale juif, puis suivent des humiliations, des coups. Le racisme peut prendre des formes encore plus violentes. Comme je l'évoquais au début de mon intervention il peut conduire à la guerre, et même à l'élimination de tout un peuple.
Projection sur écran et lecture par un élève du poème « Racistes » : « Racistes » de Jean-Pierre Siméon
Voilà ce qu'ils disent :
l'anémone est plus intelligente que la rose
le sable est plus beau que le chat
et la pierre a toujours été supérieure au potiron
Ils reprochent au noir d'être plus noir que le blanc
comme on reprocherait au feu d'être plus chaud que la neige
et au miel d'être plus sucré que la vague
Et s'ils ont peur de leur ombre
c'est qu'ils se doutent un peu
que haïr l'étranger c'est avoir peur de soi
Projection sur écran et lecture des citations sur le racisme :
«Nous n'avons pas oublié les leçons de l'Histoire: Le racisme est un poison qui prépare le terrain pour des régimes autoritaires, voire des systèmes fascisants ...la xénophobie est un autre poison souvent associé au premier et tout aussi violent Il existe bien une autre Corse que celle de la haine et du rejet de l'autre, cette Corse minoritaire mais dangereuse, dont la presse nationale se complait à dénoncer les déviances. Il y a une autre Corse fraternelle et accueillante, qui veut se faire entendre et respecter» Etienne Bastelica et Paul-Antoine Luciani
«Les discours religieux sur le catholicisme, le christianisme...sont des prétextes. Comment justifier par les évangiles la ratonnade de noël? ....il n'y a pas de particularisme dans ces phénomènes dérangeants, nous les retrouvons avec la même intensité partout en Europe... En Corse il est important de revenir sur le contenu des discours identitaires des années 70 qui sont allègrement détournés de leur sens premier pour leur donner un contenu haineux et discriminatoire» Jérome Ferrari
«Dès qu'il y a menaces, insultes, que l'on désigne un bouc émissaire, il y a passage à l'acte en Corse comme ailleurs. Ce qui manque, ce sont les valeurs humaines, je ne parle pas de morale mais juste de choses élémentaires comme le respect, l'acceptation de l'autre, celui qui n'a pas ma tronche Il faut drôlement s'aimer soi même pour dire que tout le monde doit me ressembler ...j'ai vraiment un problème avec ce désir d'identification..» Marcu Biancarelli
« La Corse, est un lieu de violence incontrôlable. ...Nous sommes dans un contexte où des notions complexes comme la nation, le peuple et l'identité, ont été manipulées depuis trop longtemps de manière imprudente. Mais le cas corse est la manifestation d'un phénomène plus général... Quand les violences augmentent à l'échelle locale, le plus souvent c'est qu'on est dans un contexte violent au niveau national» Lizza Terrazzoni
« Il n'y a qu'une seule race, l'Humanité » Jean Jaures PAUSE DEBAT
Face à l'afflux de migrants, de réfugiés, les racistes ont peur de l'invasion, ils se raccrochent à l'idée d'une « identité » mal comprise
(projection sur écran des citations sur les migrants) :
REJET OU ACCUEIL DES MIGRANTS
- Propos haineux sur les réseaux sociaux : La crise syrienne et les déplacements de population font ressurgir des idées sombres qu’on croyait enfuies dans les égouts de l’histoire. Les propos tenus ressemblent en tous points aux discours propagandistes, caricaturaux et simplistes d’avant guerre.
- L'accueil des réfugiés comme expression de la liberté -François Gemenne (Sciences Po Paris) et l’anthropologue Michel Agier (EHESS)
« Fermer les frontières ne sert à rien. Vouloir empêcher les migrations est aussi vain que de vouloir empêcher la nuit de succéder au jour. Ouvrir les frontières marquerait un coup d'arrêt au business des passeurs. La peur de l'invasion n'est qu'un fantasme. La liberté de circulation est un droit fondamental. Et la fermeture des frontières crée cette inégalité insupportable qu'est le privilège du lieu de naissance. La légalisation des migrants permet d’augmenter et de rendre visible la contribution aux prestations sociales des travailleurs immigrés et de leurs employeurs, tout en améliorant leurs conditions de rémunération.
Remettre l’hospitalité au centre de la politique c'est choisir l'humanisme comme valeur politique - contre le retour de l’idée d’indésirabilité d’une partie des humains qui ont marqué les années 1930 à propos des Juifs ou des exilés espagnols »
projection sur écran et lecture par deux élèves de 2 poèmes : « Fuyant misères et tank » et « Gibraltar »
« Fuyant misère et tanks» Gérald Prevot "
Ils arrivent "chez nous" sur notre monceau de terre
Voulant juste voir grandir leurs gosses loin de la misère
Voulant juste réaliser ce pourquoi ils sont nés : vivre
Ils ont traversé la mer au péril des flots, à la dérive...
Fliqués, tabassés, ghettoïsés, car nous ne voyons que menaces
Peurs médiatisées et politisées qu’ils ne prennent "notre place"...
Plutôt sauver les riches, plutôt sauver les banques
Que femmes, hommes, enfants, fuyant misère et tanks
Lavons nos cerveaux de Sarko, de Zemmour, Le Pen et TF1
Redevenons vivants et tendons nos mains à ces frères humains
Chaque parcelle de terre appartient à chacun Migrants,
peut-être le serons-nous demain..."
« Gibraltar » Jean-Pierre Siméon
"Ceux là ne vont pas à la mer pour la mer
pas pour nouer leurs rires à la gerbe des vagues
pas pour cuire leur sommeil sur le sable
ils sont devant la mer debout sous la nuit sans étoiles
comme devant l'abîme
derrière eux la terre qu'ils aiment
harassée dépourvue où il n'y a de choix
qu'entre la mort et la mort
devant eux rien la mer immense un abîme à franchir
comme on doit bien franchir le désespoir
ils savent que leur barque est plus fragile qu'un rêve
ils savent que là-bas peut-être à l'autre bout du vide
la mer recrachera leur corps sur le sable froid
ils savent
debout devant la mer"
passage sur écran des panneaux de l'exposition sur Daesh
PAUSE DEBAT
Citations sur la laïcité
(lecture sur écran)
- Le principe
"Le principe de laïcité est fondé à la fois sur la liberté de conscience et la neutralité de l’État. « L'espace laïque est celui de la communauté des citoyens, avec ou sans foi, mettant en valeur ce qui les unit et ce qui les rassemble, c'est à dire le projet politique. La constitution précise que « La République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine de race ou de religion » Grégoire Cremieux Naquet.
- Les signes religieux :
« La loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Le traitement par la loi de cette question est critiquable : on ne combat une idéologie que l’on juge obscurantiste que par la contestation idéologique et politique; la stigmatisation des musulmans est inévitable et défavorable à l’expression de la laïcité en son sein et à l’expression de ses membres» Anicet Lepors
- Les offensives anti laïque
Nicolas Sarkozy le 20 décembre 2007 déclarait à Latran: «l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, car il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance».
Le concept fallacieux de « laïcité positive » est invoqué pour légitimer la défense des traditions « judéo-chrétiennes » et accompagner le plaidoyer en faveur de la prétendue supériorité de la civilisation occidentale. L’instrumentalisation de la laïcité par le Front national, par le discrédit qu’elle risque de faire subir au concept, est de nature à faire le jeu des communautarismes ethniques et religieux. La campagne sur l’identité nationale ostensiblement dirigée contre l’étranger avait le même but.
PAUSE DEBAT
Je terminerai par la lecture d'extraits de la contribution transmise par Etienne Balibar qui n'a pu être présent à nos côtés aujourd'hui :
« Au XIXème siècle, en combinant des préjugés de couleur et de culture issus de l’esclavage et de la
colonisation avec des doctrines biologiques fantaisistes , les théoriciens du soi-disant racisme scientifique ont prétendu répartir la population humaine entre des « races » héréditaires, les unes « supérieures » et les autres « inférieures ». Cette doctrine a conduit à la discrimination des Noirs, à l’apartheid en Afrique du Sud, à l’extermination des Juifs pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et à d’autres violences encore. Elle a été dénoncée comme un mensonge et une idéologie criminelle par les grandes « Déclarations sur le racisme » rédigées par l’UNESCO sur la base de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qu’on enseigne aujourd’hui aux élèves des écoles dans tous les pays démocratiques.
On aurait pu penser alors, avec la décolonisation, la fin des régimes de ségrégation et la défaite du nazisme, que le racisme était proche de sa fin. Mais il a pris d’autres formes, et s’est paré d’autres justifications. Comme autrefois, le racisme couvre des discriminations ou engendre des violences, mais pas toujours pour les mêmes « raisons » qu’avant.
La notion de culture a largement remplacé la notion de « race » pour fabriquer des boîtes ou catégories étanches, dans lesquelles on pourrait ranger les individus une fois pour toutes et de père en fils. Bien sûr la différence culturelle existe.C’est même une richesse fondamentale pour l’humanité, qui échappe ainsi à l’uniformité et à la stérilité. Mais il n’est pas vrai que les cultures soient fermées, impénétrables les unes aux autres. Au contraire elles ne cessent de se transformer et de s’influencer les unes les autres. Et surtout il n’est pas vrai que les individus soient enfermés dans une seule culture : ils peuvent en connaître et éventuellement en hériter plusieurs, dont ils font des mélanges plus ou moins compliqués et originaux.
Mais aujourd’hui, en France et plus généralement en Europe, et même dans d’autres régions du monde, nous avons affaire à un autre genre de racisme encore, qui peut devenir particulièrement meurtrier, et pourrait créer au sein de notre pays des antagonismes dramatiques, en particulier s’il vient se mélanger avec les effets de peur et de méfiance qu’engendrent les actes terroristes, ou qui viennent de la contamination de notre société par les guerres du Sud de la Méditerranée dans lesquelles nous sommes aussi engagés.
Cet autre genre de « nouveau racisme » se formule dans le langage de l’antipathie religieuse et de la méfiance ou du mépris pour certaines traditions religieuses. Déjà l’antisémitisme, avec les conséquences effroyables que l’on sait, provenait en partie de la traduction dans un langage racial des vieux préjugés religieux contre les juifs.
Aujourd’hui l’antisémitisme n’a pas disparu, loin de là, mais un autre racisme religieux s’est développé à grande vitesse qui est l’islamophobie. Les actes et les insultes islamophobes visent des immigrés ou des descendants d’immigrés pratiquant la religion musulmane ou qui sont censés en avoir hérité leur culture et leur mode de vie. Ils désignent l’Islam en tant que tel comme la cause des dangers et des violences contre lesquelles nous devrions nous protéger – alors que l’Islam, comme toute grande religion, engendre suivant les circonstances et les individus aussi bien le meilleur que le pire : parfois la
violence, mais le plus souvent la générosité et l’amour du prochain.
L’islamophobie pose un problème particulièrement grave et difficile aujourd’hui en France parce qu’elle sert à désigner des boucs émissaires pour toute sorte de maux dont souffre notre société
L’islam est une religion qui, comme telle, doit comporter les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres : son culte doit bénéficier de la même liberté, des mêmes protections et de la même visibilité que les autres dans la République française. Son exercice ou sa prédication doivent aussi, éventuellement, respecter les mêmes règles de tolérance et d’ordre public. En revanche l’islamophobie est une forme de racisme à prétexte religieux, qui doit être combattue énergiquement, surtout si elle s’introduit dans le discours laïque lui-même, en exigeant des musulmans une « discrétion » ou un sacrifice de leurs convictions qu’on ne réclamerait pas pour les religions « traditionnelles » dans notre pays.
Rien de tout cela n’est facile, ni à comprendre ni à mettre en pratique. Dans la vie de tous les jours, à l’école, à la maison, dans l’espace public, nous avons beaucoup à faire pour éliminer nos préjugés, dénoncer toutes les injustices et les discriminations, combattre les vraies causes de malheur ou d’insécurité, donc traiter nos concitoyens et les étrangers qui s’installent chez nous ou doivent y être accueillis comme des êtres humains égaux, avec leurs différences, leurs qualités et leurs défauts. C’est difficile, mais cela en vaut la peine, car c’est ainsi que nous fabriquons pour eux et pour nous-mêmes une société hospitalière, dont nous serons fiers de la transmettre un jour à nos propres enfants. »
DEBAT FINAL AVEC LES ELEVES