Allocution de Paul-Antoine Luciani
Mesdames, messieurs, chers amis,
Je dois excuser auprès de vous le député maire d’Ajaccio, Simon Renucci, que ses obligations parlementaires viennent d’appeler à l’Assemblée Nationale.
C’est donc en ses lieu et place que j’ai l’honneur d’ouvrir pour vous une exposition qui revêt une grande importance pour la ville d’Ajaccio. D’abord, bien sûr, parce qu’elle est le temps fort, l’événement de ce 68ème anniversaire du 9 septembre 1943. On commence à savoir enfin , sur le continent et dans les médias extérieurs, que la ville de France qui fut libre la première n’est pas Bayeux, libérée par les Alliés en 1944, mais bien Ajaccio, libérée par elle-même en 1943.
Ensuite, parce que l’exposition réalisée par Isaline et Hyacinthe Choury est une œuvre que l’on peut qualifier de « monumentale ». Et cela aux deux sens du terme : « monumentale » par son importance, son volume, sa richesse ; « monumentale » aussi car elle fonctionne comme un « monument » dédié aux femmes et aux hommes qui ont fait notre histoire contemporaine. Il s’agit là vraiment d’un travail exceptionnel, tant par la quantité et la diversité des documents exposés, que par la qualité graphique de leur présentation.
La ville d’Ajaccio est donc particulièrement heureuse et fière d’accueillir une telle exposition qui permettra à tous ceux, Ajacciens ou non, qui n’ont que de vagues souvenirs de la période concernée, ou qui n’ont pas eu la chance d’en rencontrer certains acteurs survivants, une telle exposition leur permettra de découvrir ou de redécouvrir l’univers du dévouement sans calcul, du sentiment patriotique, de l’engagement personnel et collectif au service d’une belle et juste cause : une Corse libre et française.
Le travail d’Isaline et Hyacinthe Choury a été inspiré – on peut l’affirmer sans avoir peur des mots – par une véritable « piété filiale » : les enfants de Maurice Choury voulaient légitimement donner à l’œuvre écrite de leur père une signification et une ampleur qui soit à la mesure des événements que retrace « Tous bandits d’honneur ». Ils voulaient en même temps et indissociablement que le souvenir du plus grand nombre de ceux qui se sont sacrifiés dans les combats de la résistance et de la libération soit arraché au silence et à l’oubli.
Ils ont ainsi démontré que la démarche mémorielle et la démarche historique, loin de s’ignorer ou de se contredire, pouvaient au contraire s’harmoniser et s’enrichir mutuellement.
Les hommes et les femmes de ma génération et de ma sensibilité qui ont lu et relu « Tous bandits d’honneur » ont été longtemps partagés entre deux sentiments : D’un coté, une gratitude perpétuelle à l’égard d’un grand dirigeant de la Résistance et de la Libération qui leur a laissé un témoignage capital sur la période 1942-1943. De l’autre, une insatisfaction grandissante à l’égard de la recherche historique qui ne prenait pas le relais et tardait à enrichir nos connaissances sur cette période cruciale de notre histoire contemporaine. Et puis, après les efforts de certains passionnés, je pense en particulier à l’ANACR 2A et à son précieux site internet, après l’acharnement mémoriel de certains acteurs aujourd’hui disparus (je ne citerai que Jérôme Santarelli, président de l’ANACR, pour éviter les oublis inexcusables), voici que des recherches universitaires apparaissent, des publications sont annoncées, des documents d’archives sont exhumés, voici qu’arrive enfin, selon l’expression d’Arthur Giovoni « le temps de l’histoire sereine ».
Et voici que, dans ce mouvement de redécouverte historique, arrive , comme à point nommé, une exposition dotée d’une vaste documentation, enrichie de pièces d’archives, un travail inédit qui jette une large passerelle entre le souvenir et l’histoire, entre la mémoire qui peut être affective et l’histoire qui doit être scientifique. Rendre justice à tous les acteurs obscurs, retrouver le sens de l’action des dirigeants, savoir analyser le moment historique où une situation bascule, comprendre comment un mot d’ordre, lancé dans des circonstances particulières, peut « coller » au sentiment populaire et le transformer en mouvement irrésistible… voilà ce que nous permet le travail d’Isaline et Hyacinthe Choury.
Et voilà de bonnes raisons pour les féliciter et les remercier : cette exposition éclaire le 9 septembre et enrichit sa mémoire ; elle le met à la portée des générations actuelles.
Merci pour elles, et merci pour Ajaccio.